BENJAMIN DESSUS : «N’OUBLIEZ PAS LE MÉTHANE»
Propos recueillis par Valéry Laramée de Tannenberg
5 MARS 2008 ENERPRESSE N° 9527

On l’oublie trop souvent. Le méthane est le second gaz à effet de serre anthropique après le dioxyde de carbone. Or, à l’exception de la Methane to market américaine (cf. Enerpresse n°8702), rares sont les politiques nationales ou internationales de lutte contre le changement climatique à intégrer ce GES.
Un oubli contre lequel s’insurge Benjamin Dessus, le président de l’association Global Chance.

Enerpresse - Dans un article récemment paru dans le magazine scientifique La Recherche, vous mettez en cause la prise en compte du méthane dans les politiques publiques de lutte contre le changement climatique. Sur quelles bases vous appuyezvous ?

B. Dessus - Avec l’ingénieur Bernard Laponche et le climatologue Hervé Le Treut, nous avons regardé la façon dont le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat et, par extension, les décideurs politiques prennent en compte le méthane qui, rappelons-le, est le second gaz à effet de serre (GES) anthropique après le gaz carbonique.

Enerpresse - Votre conclusion ?

B. Dessus - Il est très mal traité. Je m'explique. Tout d'abord, personne n'a encore intégré le fait que le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) a revu à la hausse le potentiel de réchauffement global (PRG) du méthane qui n'est plus de 21, mais de 25. Mais le plus important n'est pas là. En effet, pour bien appréhender le réel impact climatique des différents GES, il faut tenir compte du fait que les GES ont à la fois des durées de vie et des capacités d'absorption du rayonnement infrarouge très diverses.
Le méthane disparaît douze ans après son émission : l'essentiel de l'énergie qu'il a apporté à l'atmosphère l'est dans ces dix ou vingt premières années.
Le gaz carbonique, lui, décroît beaucoup plus lentement : au bout de deux cents ans il y en a encore plus de 30% de ce que l'on a émis deux cents ans plus tôt. Il continue donc à communiquer de l'énergie à l'atmosphère beaucoup plus longtemps que le CH4. Enfin le méthane a un pouvoir d'absorption près de cent fois supérieur à celui du dioxyde de carbone.

Enerpresse - Concrètement, à quel résultat aboutissez- vous ?

B. Dessus - Il s'en suit que la notion de PRG est indissociable de la période de temps à laquelle on s'intéresse. En d'autres termes, le PRG du méthane évolue très vite selon la période considérée.
Si celle-ci est différente du siècle, généralement cité, ce coefficient d'équivalence avec les effets climatiques du CO2 n'est plus de 25.

Enerpresse - Cela influe donc sur les inventaires nationaux de GES...

B. Dessus - Absolument. Prenons l'exemple de la France. En 2005, l'Hexagone a émis 2,65 millions de tonnes de méthane et 341 millions de tonnes de dioxyde de carbone. Dans la littérature officielle, les émissions de CH4 représentent 56 MtéqCO2. Ce qui est juste, si l'on se projette à l'horizon 2105.
Mais c'est faux, si la période considérée est de l'ordre du demi-siècle. Dans ce cas, il faut appliquer au méthane un PRG de 42. Les émissions ne sont plus alors de 56 MtéqCO2, mais de 111 MtéqCO2.
A l'horizon de 2050, les effets engendrés par les émissions de méthane sont donc sous-estimés d'un facteur 2. De plus le PRG a été défini par le GIEC comme la réponse à une émission ponctuelle de CH4 par rapport à une émission ponctuelle de CO2. mais si on s'intéresse à des politiques continues de réduction de méthane le concept n'est plus adapté et on constate qu'il faut encore multiplier l'action du CH4 par un facteur 1,5 environ. Au total donc un coefficient trois environ de sous-esimation des effets du CH4 pour la période 2050 2100 ! C'est considérable.

Enerpresse - D'autant que les objectifs de la Commission européenne de réduction des émissions de GES sont à moyen terme.

B. Dessus - Oui parce que les climatologues nous disent que la période cruciale se situe avant 2100 : non seulement il faut atteindre une concentration de l'ordre de 400 ppmv de gaz à effet de serre vers 2150 mais il faut aussi éviter de passer avant par une concentration beaucoup plus élevée qui rendrait les choses irréversibles....
Cette sous-estimation a des traductions concrètes en France. L'essentiel des mesures prônées par le premier groupe du Grenelle de l'environnement ne porte, en réalité, que sur les rejets de gaz carbonique. Du fait de la mésestimation de l'évolution des effets du méthane dans le temps, on s'est désintéressé de ce gaz. Or, à l'horizon de 2050, qui est celui de la loi POPE ne l'oublions pas, nous avons à notre disposition des mesures de réduction d'émission de méthane simples, peu coûteuses et très efficaces.

Enerpresse - Par exemple ?

B. Dessus - L'Allemagne a réduit ses émissions de méthane de 43% en 14 ans (en particulier en méthanisant ses déchets d'élevage et en récupérant le méthane de ses décharges) la France de 8%seulement. Chez nous il reste 0,4 Mt de méthane à récupérer des décharges d'ordures ménagères existantes et autant des lisiers bovins et porcins. La capture de ce méthane aurait des effets considérables



Enerpresse - De quel ordre de grandeur ?

B. Dessus - Je crois que les chiffres parlent d'eux-mêmes. Nous avons fait quelques simulations par rapport aux résultats attendus de grands programmes nationaux lancés ou en cours de lancement. Prenons le cas de la rénovation des logements anciens. Si l'on décidait vraiment, comme le suggère l'association Negawatt, de faire tomber la consommation d'énergie primaire des logements construits avant 1975 de 250 kWh/an/m2, cela générerait une économie de 2,5 tonnes de CO2 par an et par logement.
Pour que ce programme ait autant d'effet sur le climat que les réductions du méthane pour les 80 ans qui viennent, il faudrait isoler 6 ou 8 millions de logements. Mais qu'on ne se méprenne pas sur mes propos. Je ne dis pas qu'il ne faut plus réduire les émissions de CO2 et tout miser sur le méthane. Non. Mais il ne faut pas oublier le CH4.A fortiori si les moyens d'en maîtriser les émissions sont simples et peu coûteux.