Le dos voûté, Kamla balaie et fait des piles de détritus. Pooja les ramasse et les charge dans des corbeilles en plastique posées sur une charrette. Jour après jour, de 4 à 10 heures du matin, ces deux femmes nettoient les rues autour de la gare de Bandra, dans la banlieue nord de Bombay. Sans gants, ni masques, pour 3200 roupies par mois (moins de 50 euros). "C'est dur, mais au moins nous avons un travail, et nous sommes utiles à la communauté", affirme fièrement Kamla. "Imaginez ce que serait la ville si nous n'étions pas là : une gigantesque décharge !", continue Pooja.

Après les avoir collectés, les employés municipaux de Bombay conduisent les détritus dans les poubelles communales, qui sont ensuite acheminées vers les sites de stockage, au nord de la ville. La municipalité dépense pour cela quelques 20,6 millions d'euros par an. Mais avec 20 000 employés pour plus de 13 millions d'habitants, les montagnes de déchets continuent de s'accumuler dans les rues de la mégalopole. Bombay vient d'ailleurs de recevoir le titre peu glorieux de septième ville la plus sale du monde dans le classement du magazine Forbes. Avec l'augmentation constante de sa population, la capitale économique de l'Inde génère chaque jour 10 000 tonnes de déchets solides. Mais la ville n'est, pour le moment, équipée que pour en recevoir 6000.

"La situation devient critique, reconnait R. A. Rajeev, commissaire municipal en charge des déchets solides de Bombay, mais les autorités cherchent de nouveaux espaces de stockage". La municipalité a notamment repéré un terrain de 17 hectares à Dahisar, au nord de la péninsule. Problème : le site jouxte le Parc National Sanjay Gandhi... De quoi susciter une levée de bouclier immédiate des écologistes, qui soulignent que la réserve naturelle fait office de véritable poumon pour la ville. Les riverains ne sont guère plus enthousiastes. : "Nous avons l'habitude d'aller y déjeuner en famille, c'est un des rares espaces préservés de Bombay", se plaint Kandida Sinha, qui habite le quartier de Dahisar. La maire, Shubha Raul, est également opposée au projet. Résultat : le dossier, pourtant classé urgent, est dans les tiroirs depuis 13 mois... Incapable de s'en sortir seule, la municipalité réclame 72 millions d'euros à l'Etat central, qui vient d'en débloquer un peu moins de dix. Un quart de la somme doit également être versée cette année. En attendant, seule une fraction des déchets est traitée et transformée ( en engrais organique et en pastilles de combustible, ndlr), la ville ne disposant pour l'instant que d'un seul centre de traitement, à Kanjurmarg.

Dans ce contexte, c'est pour l'instant le secteur informel qui ramasse et recycle une partie non négligeable des déchets. Des dizaines de milliers de personnes vivent en effet en revendant les matières recyclables à des grossistes. Le papier est principalement traité dans les usines de Belapur, alors que Chembur réceptionne les déchets de verre. Avec plus de 1400 unités de recyclage, le bidonville de Dharavi récupère de son côté la majeure partie des matières plastiques.

Le ministère de l'Environnement a récemment annoncé une modification de la loi concernant la gestion des déchets, impliquant des critères environnementaux plus stricts et la participation du secteur privé. Le marché est gigantesque.



Qui est Julia Ocir ?

Après avoir fait des études de journalisme à Montréal et débuté ma carrière à Paris, j’ai décidé de partir travailler en freelance pour la presse francophone en Inde. Je suis arrivée il y a un peu plus d’un an sans rien savoir de ce qui m’attendait... Après avoir voyagé pendant quelques mois, j’ai posé ma valise à Bombay à la recherche de quelque chose, à la poursuite d’un rêve, comme la moitié des habitants de cet enfer urbain.

L’Inde n’est pas un pays qui se donne facilement au premier inconnu. Comme une femme qui se fait désirer, elle se laisse observer, admirer, écouter mais sans jamais se dévoiler complètement. Entre attraction et répulsion, elle demeure mystérieuse, fascinante. En tant que journaliste, il est particulièrement intéressant d’y vivre en ce moment car la société se transforme rapidement : Urbanisation, développement, environnement c’est comme si tous les défis de la planète se jouaient ici.