La lumière est vacillante, le bruit assourdissant et la chaleur insoutenable. Nagendra Kumar, le visage trempé de sueur, stoppe la machine. Seuls les coups de marteau donnés en cadence dans l’atelier voisin résonnent encore. Nagendra travaille depuis huit ans au sein d’une petite unité de recyclage de plastique. Il en existe des milliers à Dharavi, le plus grand bidonville d’Asie, au coeur de Bombay (Inde). L’homme a 24 ans, mais en paraît beaucoup plus. De 8 heures à 21 heures, 7 jours sur 7, il dépose des flocons de vieux plastique au creux d’un appareil cylindrique qui les fond, les transforme en fils, puis en billes. Pieds nus et sans gants, le jeune homme récupère le plastique « réincarné » et le place dans des sacs qui seront ensuite vendus à des industriels.

L’ultime transformation en jouets ou en brosses à dents se déroulera dans des usines à l’extérieur de la ville. « Je gagne 1 000 roupies (15 euros) par semaine et j’arrive à envoyer la moitié de mon salaire à ma famille restée dans l’Uttar Pradesh », déclare-t-il fièrement. Nagendra est originaire de cet Etat du nord de l’Inde, agricole et particulièrement pauvre, qui déverse tous les ans son lot de migrants dans la capitale économique du pays. « Je ne suis pas un intouchable. Je suis un cultivateur, du village de Fatehpur, mais ici je gagne trois à quatre fois plus que mon frère resté là-bas. C’est la seule et unique raison pour laquelle je continue à vivre ici », confie Nagendra. Quand il a débarqué, seul, à Bombay, il n’avait que 16 ans. Une connaissance de son village lui a présenté le patron d’un atelier de recyclage.

Les deux premières années, le jeune homme a travaillé sans relâche. « Je dormais par terre au pied de la machine. La chaleur étouffante et la fumée étaient difficilement supportables. J’ai fini par tomber malade », raconte-t-il.

« Assez d’argent pour me marier » Aujourd’hui, Nagendra a changé d’employeur et dispose d’un modeste matelas installé dans une petite pièce voisine. Il partage ces quelques mètres carrés avec d’autres hommes originaires de la même région. Et il peut enfin se permettre de rentrer chez lui deux à trois mois par an, notamment pour aider ses parents au moment des récoltes. « Ici, le but n’est pas d’être heureux, mais de gagner de l’argent. Dans quelques temps, j’en aurai mis assez de côté pour me marier et acheter mon propre terrain », assure-t-il en souriant. Nagendra s’estime plutôt privilégié car il est mieux payé que la plupart des 200 000 personnes qui travaillent dans le recyclage à Dharavi.

Les femmes de ménage qui recueillent les déchets dans les quartiers résidentiels et les enfants qui trient le plastique gagnent au mieux 500 roupies (7,5 euros) par semaine. Ces petites mains traitent, chaque jour, des milliers de tonnes de plastique, mais aussi de papier et de métaux. Et cela, sans aucun contrat de travail, de limite horaire ou de négociations salariales. Les unités industrielles de Dharavi qui les emploient comptent en moyenne moins de 10 salariés. Et n’ont donc pas l’obligation légale d’être déclarées.



Qui est Anne-Gaëlle Rico ?

Après avoir fait des études de journalisme à Montréal et débuté ma carrière à Paris, j’ai décidé de partir travailler en freelance pour la presse francophone en Inde. Je suis arrivée il y a un peu plus d’un an sans rien savoir de ce qui m’attendait... Après avoir voyagé pendant quelques mois, j’ai posé ma valise à Bombay à la recherche de quelque chose, à la poursuite d’un rêve, comme la moitié des habitants de cet enfer urbain.

L’Inde n’est pas un pays qui se donne facilement au premier inconnu. Comme une femme qui se fait désirer, elle se laisse observer, admirer, écouter mais sans jamais se dévoiler complètement. Entre attraction et répulsion, elle demeure mystérieuse, fascinante. En tant que journaliste, il est particulièrement intéressant d’y vivre en ce moment car la société se transforme rapidement : Urbanisation, développement, environnement c’est comme si tous les défis de la planète se jouaient ici.