1 Première étape à Tulcea, aux portes du delta.

J’ai décidé de me déplacer sans avion pour limiter mes émissions de gaz à effet de serre. J’utilise les transports locaux comme les habitants des pays que je traverse et cela facilite les rencontres. J’emprunte un maxitaxis pour aller de la capitale roumaine à la capitale du delta, de Bucarest à Tulcea . Ces minibus privé sont le meilleur moyen pour se déplacer dans un pays qui a du mal à moderniser son réseau de transport public.

Je rencontre Aurora dans le maxitaxis, ma charmante voisine est francophone. Nous discutons un peu de mon voyage mais elle n’est pas vraiment intéressé. A 19 ans elle a gagné un concours de chant dans l’une des nombreuses émissions de variété de la télévision et rentre chez elle. Elle loge dans un appartement avec sa grand-mère et rêve de quitter la région. Le delta du Danube est joli pour le week-end, mais le développement de la région ne lui offre que peu d’avenir. Elle souhaite finir ses études de musique et pourquoi pas partir en Italie pour enseigner.

Tulcéa est la dernière agglomération reliée au réseau routier et au chemin de fer, c’est la porte d’entrée pour explorer le delta du Danube. Pour les 15 000 habitants du delta (3 habitants par kilomètre carré, le plus faible densité de population du pays), c’est le point de départ des bateaux qui sont l’unique moyen de rejoindre leur village.

Je rencontre Mme Lilian qui travaille pour la protection du delta. Elle me présente les différents programmes : RAMSAR pour les zones humides et Homme et Biodiversité de l’UNESCO. Jamais deux sans trois, le delta est aussi reconnue comme patrimoine mondial de l’humanité par l’UNESCO.

Une dizaine de minorités sont présents, notamment 1 500 lipovènes ou « vieux croyants » qui ont fui les réformes de Pierre le grand pour vivre leur religion. Ils sont reconnaissable à leur grande barbe et leur maison peintes en bleu. Traditionnellement pécheur, ils sont reconnus comme le peuple du fleuve par les roumaines.

Faunes et flores sont remarquables pour le deuxième delta d’Europe qui héberge par exemple des esturgeons et des colonies de pélicans. La roselière est la plus étendue au monde et sert de filtre. Les eaux du Danube polluées en amont par l’industrie, l’agriculture ou les assainissements défaillants sont épurées en partie avant de rejoindre la mer noire.

L’administration essaye d’ouvrir des brèches dans les digues construites à l’époque communiste pour assécher des zones destinées à l’agriculture. Le but est ralentir le trajet de l’eau pour maintenir les zones humides et stabiliser les alluvions : la côte avance de 3 mètres par an du fait des alluvions charrié par le fleuve.

2 Première découverte du Danube et de ses habitants à Crisan.

Je prends le bateau lent qui utilise le principal bras du Danube, celui qui est canalisé et permet aux cargos de passer de la mer noire au fleuve et de rejoindre les villes en amont. Touristes étrangers et roumains se joignent aux locaux chargé de colis. Le bateau sert à transporter 5 jours par semaine l’argent de la banque et le courrier. Les habitants du delta viennent acheter aussi les produits qu’ils ne peuvent produire sur leur terrain : je vois passer des cagettes de tomates, des sacs de pommes de terres et de pain, des casiers de bouteilles d’huiles et de bières. Des meubles et certains matériaux de constructions sont aussi du voyage.

Nous parcourons une cinquantaine de kilomètre en 3 heures. L’eau devient l’élément naturel dominant. Les cormorans s’envolent à notre passage, des vaches broutent une herbe rare sur des bandes de terres entourées d’eau. Je débarque à Crisan situé au milieu du delta. Lorsque le Danube c’est formé, c’était là que s’arrêtait la terre ferme. Le village de pécheur c’est développé au XIX° siècle lorsque les travaux d’endiguement du Danube ont démarré avec la compagnie européenne (français, anglais, roumains, grecs…). Les ouvriers sont restés et le premier baraquement servant au chantier est devenu l’église du village.

Près de 600 personnes vivent désormais dans le village, le long de l’unique rue sur un ilot de 7km de long. Petre est né ici. Je suis étonné du prix des pensions, de 25 à 100% plus cher qu’à Bucarest, peut-être est-ce du à une taxe pour l’écotourisme ou au contrainte environnementale de la réserve ? Il m’explique que le peu de terre disponible sont vendus 100€ le mètre carré, le prix de terrain le plus cher en Roumanie en milieu rural.

Quand à la protection de l’environnement, il me dit qu’il n’a jamais vu quel travaux l’administration faisait dans le delta. Les habitants brûlent leur déchets derrière la maison. L’administration doit organiser un lieu de stockage et collecter les déchets par bateau, mais ce qui est difficile à faire dans le reste du pays n’est pas plus simple ici. Les eaux usées sont rejetés dans le fleuve, l’assainissement individuel est théorique quand les maisons sont sur une butte à 1m environs au-dessus du fleuve. Pour lui, la pollution est nouvelle, il n’y avait que du verre a récupérer quand il était enfant, et les détergents n’existaient pas.

Il ne connaît pas les effets du changement climatique, mais il y a 3 ans sa maison a été menacé par une crue durant 2 semaines, il était près à fuir avec sa famille. Quand je lui explique que la hausse du niveau de la mer pourrait atteindre 1 mètres à la fin du siècle, il devient inquiet. Les digues peuvent être rehaussé pendant un temps mais ne suffiront pas.

3 Sulina, quand le Danube rejoint enfin la mer Noire

Je continue mon voyage en direction de Sulina. C’est ici que le Danube se jette dans la mer noire et la ville concentre un tiers des habitants du delta car elle sert à la fois de port fluvial et maritime. Je pose à peine le pied dans le bateau qu’un groupe m’invite à m’asseoir vers eux et me sert d’autorité un verre de palinka. Impossible de refuser, et je m’étonne après coup que la bouteille d’eau en plastique qui sert de contenant n’est pas déjà fondu tellement le degré d’alcool doit être élevé.

Vlad vient passer les vacances avec ses parents et un groupe d’amis. Il m’invite à passer la pâque orthodoxe avec eux dans une pension isolée de la petite ville mais à quelques mètres de la plage. Il est peu intéressé par l’écologie, Sulina est pour lui avant tout un lieu retiré à la campagne propice au tourisme. Les pensions fleurissent, certaines bénéficiant d’aides européennes pour s’équiper de chauffe-eaux solaire.

Nous partons pour l’église à minuit. L’église est pleine et les murs sont recouverts de représentations des saints, des icones sont exposés et les croyants viennent les embrassés. Le prête termine une prière et amène un cierge, la lumière de la résurrection. Chacun vient allumer sa bougie et sort en possession. La cérémonie continue dehors. Nous rentrons prendre le repas traditionnel, œufs, gâteaux, choux farcis… A partir d’aujourd’hui, les gens se saluent en échangeant la formule « le christ est revenu », à quoi il faut répondre « oui je crois ».

Je vais faire des photos dans le quartier qui regroupes de petites fermes. Je croise une femme aux mains tailladées et noires. Elle me demande de l’argent, presque en pleure et en se serrant le ventre en dessinant le chiffres 22 dans la poussière. J’ai l’impression que la petite épicerie à côté a refusé de la servir pour une dette de 22 lei (5€). Elle se baisse et me prend la main pour la baiser. Je la quitte aussi gêné qu’elle, c’est la première fois qu’une personne me demande de l’argent dans ce pays.

J’observe l’ancien phare situé dorénavant au milieu du village, une preuve supplémentaire de l’avancé de la terre sur la mer. Le fleuve modèle le paysage et les hommes s’y sont adaptés jusqu’à maintenant même si la vie est rude pour ceux qui ne bénéficient par de l’essor du tourisme.

4 Une richesse naturelle à préserver.

Je retourne voir Petre pour observer les oiseaux dans les lacs et roselières qui entoure sa maison. Nous partons dans sa barque en bois qui lui servait pour pécher, son ancien métier. Il est maintenant guide et construit une pension, le tourisme est plus rentable pour faire vivre sa famille maintenant qu’il est marié et père depuis l’an dernier. Il adore partager ses connaissances et m’explique que ce nouveau métier, au contact de personne étrangère découvrant la richesse naturelle autour de son village natal, lui a donné conscience de la fragilité de l’écosystème. Il souhaite le préserver et espère que sa fille pourra bénéficier de ce patrimoine naturel autant que lui.

5 Une forêt au milieu de l’eau

Je rallie en 2h de barque Letea, un village qui semble échapper à la modernité. Il n’y a que des fermes ici, un bâtiment en dur perpendiculaire à la rue, avec 2 ou 3 pièces. Une dépendance abrite les outils ou la presse car il y a quelques pieds de vigne au milieu du jardin. L’étable est construite entièrement en jonc et héberge quelques vaches.

Le bout de la rue du village donne directement dans une forêt protégée posé sur des dunes millénaires. Des chênes séculaires sont dispersés ici au milieu d’ormes et d’autres arbres que je ne reconnais pas. J’aperçois lièvres, chevreuils, faisans, vipères et chevaux sauvages.

Déjà une semaine que je suis dans le delta. Je vais de Letea au village voisin, Rosetti. La mairie me prête sa connexion internet pour envoyer mon article au Journal de Saône-et-Loire qui publie tous les dimanches mon carnet de route.

6 Arrivée à la frontière de l’Europe

Au-delà de la forêt de Letea, je rejoins Periprava en 4x4 à travers des chemins ressemblant à des tas de sable. Ce petit village est situé sur le bras Nord du delta, à la frontière avec l’Ukraine. C’est le dernier village roumains desservis 3 fois par semaine par un bateau avec Tulcea. Je dois donc attendre2 jours et j’en profite pour visiter des terrains mis en culture à l’époque communiste. Les terrains ont été entouré de digue puis asséchés. Les installations sont à l’abandon maintenant et je ne vois que des troupeaux de vaches et de chevaux.

Dimanche matin, réveil à 4h30. L’embarquement se fait à 300 mètres au bout du village, et la femme qui m’héberge a fait du zèle. Tant pis, c’est ma dernière journée dans le delta, autant en profiter, en commençant par un lever de soleil sur le Danube, joli mais glacial. Les toilettes sont au fond du jardin, et je préfère attendre celles du bateau. La douche tient dans un angle de la cuisine, à côté de la gazinière et du baquet de poisson qui sera au menu de midi. Mais au moins l’eau est chaude !

Il me reste à faire une croisière de 110 km sur l’un des bras les mieux conservé du delta du Danube. Je vais attendre un peu pour prendre mes photos. Hier, la police des frontière installé dans le village m’a demandé mes papiers après une tentative de prises des vues des barques sur fond de Danube, et de l’Ukraine juste derrière ! Il est vrai que nous sommes ici à la frontière de l’Europe quand même.

Je quitte le Delta en me demandant ce que feront ses habitants quand les inondations deviendront de plus en plus fréquentes. J’ai vu peu d’initiative en faveur de l’environnement, mais les habitants ont peu de responsabilités par rapport aux politiques de grands travaux menées avant eux et à la société de consommation qui leur procure ses déchets sous formes d’emballages, de produits chimiques et des tonnes de gaz à effets de serres dilué dans l’atmosphère. Voyage Avenir climat. http://avenirclimat.info. ben@avenirclimat.info