Les raisons sont donc multiples, la principales est sans doute la curiosité. Je me suis préparé comme pour une expédition, je n’avais rien d’autre à faire. De longues journées d’attentes à Tema avant l’arrivée du bateau, qui ont fait suite à des semaines de démarche pour trouver une compagnie, acheter un billet et finalement traverser 3 pays pour arriver au pied de la passerelle. Durant mon dernier séjour à terre j’ai acheté des oranges, de la canne à sucre à mâchouiller, des biscuits avec la tête d’Obama dessus, 1kg de nutella fait au Ghana et qui sent le beurre d’arachide, du dentifrice, bref de quoi tenir en autarcie loin de tout. Passer 10 jours en mer, même à bord d’un bateau long de 200m et haut comme un immeuble de 8 étages, c’est comme traverser un désert. J’ai aussi conservé un stock de médicament en cas de diarrhée de dernière minute ou de crises de paludisme à retardement…

En fin de compte ces fruits ne m’ont pas servis, la nourriture est abondante mais peu diverse : pâtes à tous les repas dans ce bateau sous pavillon italien, puis poisson et un énorme morceau de viande, des fois avec des légumes, puis un fruit. Les services sont à 7h30, midi et 18h. Ceux qui ne peuvent être présent ont une assiette couverte de cellophane qui attend à leur place attitrée la fin de leur quart. En tant que passager, je suis à la table d’honneur avec le capitaine et les officiers en second.

27 hommes sont à bord, dont un tiers d’italien et le reste d’indiens. La routine à bord pèse sur ses hommes forcés de vivre confinés sur cet espace somme tout restreint. Les ordinateurs portables et lecteurs MP3 sont leur refuge le soir, une fois leur 8 à 12h de travail terminé. Un passager à bord, peu fréquent dans le sens où je l’ai pris et en général moins nombreux dans les liaisons avec l’Afrique qu’avec les autres continents, est une animation bienvenue même si les contacts sont rares en dehors des officiers que je côtoie à table.

La domination du Nord sur le Sud est toujours présente : les salaires pour les italiens est environ le double de celui des indiens. Le temps passé à bord est aussi différent : 4 mois pour les marins européens, 7 pour les autres. Symbole de la mondialisation, les marchandises transportés sont constitués de produits chimiques ou manufacturés dans le sens Nord-Sud (principalement de vielles voitures trop polluantes pour le Nord, mais aussi des camions, des engins de travaux) et de produits brut dans le sens Sud-Nord (cacao, arbres, légumes).

Je passe mon temps dans ma cabine, à jouer avec un vieux jeu de 1994 récupéré la veille du départ sur Internet. Je fais un peu de photos et de vidéos à bord, édite quelques reportages, lit très doucement le seul roman qui me reste et que j’ai pu trouver au Bénin dans une auberge pour volontaire. La salle de gym du bateau me permet de faire un peu de vélo et de soulever des poids une demi-heure par jour. J’ai aussi des centaines de films sur mon disque dur et j’en regarde plusieurs d’affilé. Tous les jours vers 9h le steward qui fait le service pour les officiers vient faire le ménage.

Dehors le paysage est monotone : une mer de nuages sur un océan aquatique, une variation de bleu qui bouge très lentement, nous avançons à 18 nœuds, ce qui doit correspondre à 32 km/h environ. Nous croisons de rares bateaux lorsque notre route croise les axes de navigations. L’espace à beau être immense, l’organisation du commerce international nécessite toujours de faire les trajets au plus courts et les bateaux suivent des circuits bien définis. Pas d’oiseau dans le ciel, même au passage à proximité des îles canaries au large du Maroc, mais quelques dauphins vus de loin et des poissons volant vu du haut de la passerelle. Nous avons été suffisamment proches pendant quelques heures pour capter le réseau de téléphonies et chacun a passé un appel à sa famille. Par chance, nous avons eu droit au couché de soleil sur les îles, avec un ciel nuageux couvrant ces reliefs dépassant de l’océan atlantique. Comme un cliché, l’eau est devenue dorée, les silhouettes des iles ont virée du bleu profond au noir, et les nuages ont été percés des derniers rayons de soleil inondant cette scène d’une lumière féérique. Voir ce spectacle de la nature depuis le large fut un moment unique que peu de personne ont eu la chance de vivre.

Le ronronnement du bateau est continu. Les vibrations du moteur de ce géant au ventre vide de retour d’Afrique se répandent dans les murs, les meubles et tout ce qui peut bouger, la houle de la haute mer cogne contre la coque, la ventilation souffle tout le temps et le vent du large siffle au dehors. En même temps, les mouvements lent du gîte et du tangage me berce dans mon lit ou me font tituber lorsque je marche. Je n’ai pas le mal de mer, mais je sais qu’en arrivant à terre j’aurais toujours l’impression de marcher sur une eau en mouvement, au moins pendant quelques heures.

J’ai eu droit à deux visites du bateau, sans compter un rapide tour pour la sécurité avec les combinaisons étanches, les bouées et bateau de survie. Un officier italien m’a fait visiter les ponts et un officier indien la salle des machines. C’est grand, parfois sale mais en bon état, et les murs sont régulièrement couvert de d’affiches ou de mots d’ordre pour la sécurité. Des plans du bateau sont accrochés partout avec les différents points d’équipements de secours, d’électricité, d’eau, et je ne sais quoi encore. Le pont, là où les commandes du bateau sont regroupées, est tout en haut, au 13ème étage. L’endroit est clair avec toutes ces vitres panoramiques qui permettent d’observer la mer, et est étonnante avec tout ces cadrans, ces radars, ces manettes et téléphones. De là on commande tout le navire et on communique avec la terre.

Voilà un long récit, vous pouvez continuer à rêver en regardant les photos !