Benka, un globe trotter en mission http://togozine.com/benka-un-globe-trotter-en-mission/

Benka est un globe trotter en mission. Il a parcouru l’Europe pendant plusieurs mois pour collecter les témoignages de celles et ceux qui s’engagent contre le changement climatique. Tous les moyens de transport sont bons sauf l’avion car « celui-ci est le mode de déplacement le plus polluant par passager transporté ». Sa prochaine destination était l’Asie. C’est pourtant à Lomé qu’il était ces derniers jours. Il a accepté de répondre aux questions de Togozine.

D’abord, pourquoi l’Afrique?

J’ai choisi l’Afrique par défaut. Lorsque j’ai préparé mon voyage en 2007 l’idée était de parcourir l’Europe et l’Asie et comparer les réponses dans la lutte contre le changement climatique. Pour plusieurs raisons, je n’ai pas pu rejoindre l’Asie : passage par la route impossible au Pakistan, délais trop long pour obtenir les visas pour faire le trajet avec le Transsibérien. Au final, en janvier 2010, je me suis décidé pour continuer mon voyage vers un continent accessible par la route et où il est facile d’obtenir les visas : l’Afrique.

Combien de pays avez-vous traversé depuis votre arrivée sur le continent?

Je suis arrivé au Maroc, au Maghreb, même si la géographie nous dit que le pays est africain. J’ai ensuite traversé rapidement la Mauritanie et le Sénégal, je me suis posé un peu au Mali et au Burkina, et plus longuement au Togo où un ami français milite depuis plusieurs années. Je suis actuellement au Bénin et je voudrais aussi aller au Ghana.

Aviez-vous des apriori ?

Je ne pensais pas avant à l’Afrique car je n’avais pas d’attirance particulière, je voyais les africains (sans faire de différence entre les populations et les classes dirigeantes) comme dépendant des ex colons et attendant tout des blancs dominateurs. En bref, c’était pour moi des pays sans projets, sans identités propres, avec une histoire commençant avec l’esclavage, en train de mourir du SIDA, exploité par la mondialisation, en un mot sans avenir.

Au moment du départ, je rassemble mes idées et mes contacts, et découvre que d’autres voyageurs ont parcouru ces pays, que des ONG dynamiques essayent de se battre, que des solidarités se tissent pour lutter contre un capitalisme aussi dévastateur au Sud comme au Nord. Au final, quoi de mieux que d’aller sur place pour rencontrer directement les africains et comprendre un peu mieux les subtilités et différences de ce continent.

Quels apriori sont tombés les premiers?

Le premier apriori qui n’est pas tombé mais c’est confirmé, est qu’il fait chaud et que c’est dur de bouger tout simplement sous la chaleur. J’ai du affronter des températures de plus de 45° au Mali et au Burkina.

Quels apriori sont tombés ? Je ne trouve rien au premier abord. Je pense plutôt à des ONG remplis de projets qui restent au stade du papier, à des jeunes qui ne pensent qu’à immigrer en Europe, à la domination d’une classe dirigeante compromise avec les anciens colons, à une pauvreté généralisé, à un manque d’éducation qui rend difficile une discussion poussée.

Il existe des perles au milieu de cet océan, des hommes (et quelques femmes qui se sont battus encore plus) qui analysent clairement la situation de leur pays et arrivent à tisser un réseau de conscience plus ou moins tenu, quelques intellectuels (mais qui finissent toujours par citer des menaces plus ou moins lointaines).

Les différences me semblent tellement énormes que je ne me vois que comme un étranger. La meilleure chose que je puisse faire est de travailler de retour dans le Nord sur les causes de dominations, mais je ne me vois pas soutenir des projets humanitaires ou de développement tant la tâche est immense et qu’il est difficile de trouver un partenaire dans lequel ont puisse avoir confiance.

Comment avez-vous entendu parlé du Togo pour la première fois?

C’est un ami résistant, français marié à une togolaise, qui m’a fait connaitre le pays et surtout sa capitale. Son réseau de contacts m’a permis des rencontres intéressantes et son expérience de l’Afrique m’a donné des clés de lecture que j’aurais cherchées en vain sans lui.

Au Togo, qu’est ce qui vous a le plus marqué par rapport aux autres pays d’Afrique que vous avez traversé ?

J’ai trouvé que le Togo est dominé par la même famille depuis plus de 40 ans, et que les bains de sang commis dans cette miette de l’Afrique n’ont pas l’air de déranger les dirigeants français, sans doute parce qu’ils sont complices et qu’ils en tirent bénéfice.

En regardant à la surface, j’ai trouvé un calme bienfaisant dans les rues de Lomé, loin du tumulte de Ouagadougou ou de Bamako. Ce calme est sans doute du au déclin de l’activité après l’embargo qu’a connu le pays et suite aux élections truquées des derniers mois. Même si la situation méridionale de la ville est l’un des facteurs, l’émigration des togolais qui ont fuit les troubles et la pauvreté doit en être responsable tout autant.

Est-ce que vous avez rencontré des acteurs de la lutte contre le changement climatique au Togo ?

Franchement, j’ai vu peu de choses, pour plusieurs raisons :

  • j’ai travaillé avec les jeunes du quartier Avedjivi sur un atelier vidéo qui m’a pris plus de temps que prévus.
  • je n’ai pas poussé les contacts que j’avais pour faire mes reportages
  • je n’ai pas trouvé de projets concrets et remarquables apriori
  • je suis resté tout le temps à Lomé sans bouger ailleurs dans le pays.

Est-ce que vous trouvé que les togolais sont assez concernés par le sujet?

Les togolais sont bien sûr concernés, mais peu sont conscients. Ils sont concernés car les températures sont en hausse et les précipitations en baisse, ce qui à un impact sur l’agriculture. L’érosion de la côte est souvent citée en exemple également. Mais être conscient des actions à mener et de pouvoir les réaliser est un autre pari.

L’Afrique est soumise à une double peine :

  • ses ressources humaines et naturelles ont été pillé par les colons du Nord et les classes dirigeantes, et continue de l’être avec l’aide des théories capitalistes. Cette exploitation du Sud par le Nord a permis le développement de mon pays par exemple, avec un productivisme qui a engendré les émissions de gaz à effet de serre, responsable du changement climatique.
  • le changement climatique créé par le Nord a un impact mondial et touche en premier lieu les paysans africains dont la majeure partie est restée quasiment à l’âge de pierre. Le Nord continue à refuser de diminuer ses émissions de gaz à effet de serre tout en refusant de financer l’aide à l’adaptation réclamée par les gouvernements africains.

Les gouvernements devraient arrêter de payer leur dette extérieure et réclamer le paiement de la dette écologique du par les pays du Nord et les compagnies qui les ont exploités.

Le récent livre Le Temps de l’Afrique écrit par Jean-Michel Severino et Olivier Ray, spécialistes du développement a été beaucoup commenté ces dernières semaines. L’article L’Afrique Noire serait-elle bien partie? publié dans Youphil souligne que « «Les deux auteurs sont convaincus que l’Afrique va connaître un essor très important dans les années à venir. A condition de savoir faire face à deux écueils: l’instabilité politique et la crise environnementale globale qui l’impactera fortement ». Qu’en pensez-vous ?

Je n’ai pas pu lire l’article ni le livre, mais je vois peu d’espoir pour les africains dans les années à venir. Par contre, le système capitaliste, s’il n’est pas abattu, pourra certainement garantir de beaux revenus à une minorité qui profitera de cette zone de non-droit aux ressources naturelles immenses.

La crise environnementale ou sanitaire ne menace que ceux qui ne peuvent pas payer pour se protéger, et parler d’instabilité politique à la place de dictatures ne me semble pas honnête. Il faut changer de système politique, mais les alternatives démocratiques ne semblent pas nombreuses pour les remplacer.

Comment avez-vous fêté le 27 avril dernier, le jour de l’indépendance ?

Le samedi j’ai été à Agoué au centre des jésuites pour une fête de quartier, plusieurs centaines de personnes, quelques jeunes qui criaient au fond sans respecter le public et des numéros de playback plus quelques danses hip-hop dont certaines bien faites mais sans intérêt. Seuls quelques adultes m’ont semblé intéressants, avec des fables ou de l’humour, mais rien ne traitait de l’indépendance.

Le centre Mytro Nunya a organisé des débats sur 50 ans d’indépendance ou de néocolonialisme avec des archives sonores et vidéo qui ont rassemblés quelques dizaines de personnes. Je n’étais pas à cette soirée car je m’étais levé de bonne heure pour rencontrer des frères franciscains à Soviépé. Ils ont finalement refusé d’être filmés par les jeunes pour expliquer l’histoire de leur quartier sous de faux prétextes qui m’ont mis en colère. Des jeunes, que les religieux connaissent depuis leur enfance, se voit refuser la participation de personnes qu’ils respectent, alors qu’ils sont au chômage et ne font rien d’autre de leur journée.

J’ai ressenti ces fêtes comme une poudre aux yeux, une série de cérémonies (j’ai vu les communications depuis le Mali jusqu’au Togo) des riches pour éblouir les pauvres et leur faire oublier pendant un instant leur espoir de libération.

Au final, est-ce que vous êtes content de ce voyage?

Globalement je suis content d’être venu. Ca ne restera pas ma plus belle destination, mais c’est sans doute l’une des zones où j’ai appris le plus (même si je n’ai pas tout compris).

Benka, merci pour cet entretien et bonne continuation pour la suite de vos voyages que nous pouvons suivre sur avenirclimat.info

Propos recueillis par Yawa