Yaovi est électricien, avec ou sans formation, je ne sais pas. Il me montre très fier une maison qu’il a entièrement équipée. Il habite, lui, juste à quelques rues, dans la concession de son père polygame (deux femmes) et qui a quatre paires de jumeaux plus quelques frères et sœurs. L’immense maison où Yaovi a travaillé semble riche et est toujours inhabitée, d’autres maisons du quartier sont en construction depuis des années.

La concession du père de Yaovi a été construite quand il était chauffeur pour l’US AID. Il est maintenant au chômage, soi-disant pour causes médicales, mais peut-être parce que l’US AID a dû quitter le pays à une période instable et c’est séparé de son personnel.

Son salaire lui a permis d’acheter un terrain et de bâtir une maison mais il n’a toujours pas l’eau courante. Le matin, les femmes de la maison vont chercher de l’eau chez un voisin avec d’immenses bassines portées sur la tête pour remplir des jarres à moitié enterrées dans la cour. Personne ne travaille vraiment dans la maison. L’atelier de couture et le magasin d’alimentation général installés à la porte de la concession sont identiques à la dizaine de magasins du quartier et ne fonctionnent pas. La famille vie grâce à deux fils immigrés aux Etats-Unis et en Suisse.

Pour sortir de ce marasme et aider sa famille, Yaovi décide d’immigrer en Europe. Impossible d’avoir un visa : il n’a pas de famille sur place, parle difficilement français, n’a pas de formation reconnue, et pas d’argent pour faciliter les démarches. Il choisit donc la filière de l’immigration clandestine et part pour le Sénégal. Il travaille de petits boulots à Dakar. Il économise un peu d’argent qu’il envoie à sa famille et met de côté l’argent qui servira à payer son passeur. 4 ans d’économies sont nécessaires. Un beau matin (ou un grand soir) c’est le départ. Il monte à bord d’une de ces longues barques de pêche que les sénégalais utilisent sur toute la côte jusqu’en Mauritanie. Yaovi s’entasse avec des dizaines d’autres jeunes qui rêvent d’un monde meilleur et le passeur lance le moteur pour rejoindre les îles Canaries.

Ce confetti d’Espagne au large de la côte d’africaine est comme une porte interdimensionelle, une fois sur la plage de cette île, ils seront dans un autre monde, une autre galaxie, où tout le monde à des chaussures, où toutes les routes sont bitumées, chaque famille à un frigo pleins de nourriture, il n’y a pas de coupures de courant ni d’électricité, Internet est si rapide qu’on peut voir les vidéos de tous ses groupes de musique. Et l’argent est tellement facile à avoir, regarde ces blancs en Afrique qui payent leur moto-taxi sans marchander (pour une différence de 0,5 €), qui mangent deux fois par jour au restaurant (pour 1,5€ le plat) et qui ne travaillent pas (tu es touriste ou un cadre qui donne des ordres)… Et puis surtout, Dieu, Marie et Jésus sont blancs, c’est bien la preuve que le paradis est en Europe !

Yaovi à eu de la chance, il est arrivé vivant aux Canaries. Son bateau n’a pas été submergé par une vague, son passeur ne la pas jeté par-dessus bord au large pour éviter une patrouille de police, son bateau n’a pas été à cours d’essence et n’a pas dérivé vers le large…

Cueillis pas l’immigration espagnole, il a passé un examen, les plus chanceux ont été envoyé en Espagne sans qu’ils sachent sur quels critères. Yaovi n’a pas fait partis des élus. Il a été renvoyé à Dakar sans un sou. Il appelle sa famille qui lui envoie de quoi payer le bus Dakar – Bamako - Ouagadougou - Lomé (ça fait dans les 3 jours de voyage s’il n’y a pas de panne).

Que se passe-t’il de retour à Lomé ? Yaovi parle peu de sa tentative d’immigration. Les conditions ont été dures, l’espoir à disparu. Il n’a toujours pas de travail et ses sœurs qui ont grandi vont également être au chômage. Il n’y a pas de futur.

Mais ce voyage lui a permis de découvrir d’autres horizons. Les autres ne connaissent que leur quartier, le marché voisin, le village et les routes qui relient ses différents points. Au-delà c’est une terra incognita. Yaovi a vu, il a voyagé, il a parlé, il a vécu. Son regard n’est plus le même et il explique aux jeunes que l’immigration n’est pas facile ni une bonne chose. Pourquoi ? A cause des souffrances, sa réflexion ne va pas plus loin pour le moment.

Ses sœurs m’ont alpagué dès que je suis arrivé dans le quartier. « On se fait un boubou ? », une fausse question pour demander de manière détournée la fabrication du costume de mariage, l’étape juste avant de s’envoler en France. Leur seule vrai question : « est-ce qu’on voit les anges depuis les fenêtres de l’avion ? » C’est vrai que le paradis doit bien exister quelque part !