Voyager en tant que militant en Afrique est particulier

Mon passage à Lomé au Togo se passe plutôt bien, j'ai retrouvé Zoul qui vient d'ouvrir un centre de recherche et d'information sur les alternatives et nous organisons 2 jours sur le sommet pour le climat de Cochabamba : http://www.mytronunya.info/spip.php?article23. Le travail n’est quand même pas très simple quand on est habitué à Internet et que la connexion est lente : difficulté pour télécharger les documents, impossible de voir des vidéos ou d'écouter des sons... On doit avoir une garantie de notre fournisseur pour les 2 jours sur Cochabamba afin de suivre les streaming et pour échanger avec des militants qui seront sur place.

Mon premier départ de France pour le voyage Avenir Climat date de février 2008, plus de deux ans se sont écoulé maintenant. Je suis retourné quatre fois en France pour des pauses de 2 mois en moyenne. J'ai parcouru plus de kilomètres en bus, train, ferry, taxi ou moto qu’il n'en faut pour faire le tour du monde sur la ligne de l’équateur. J'ai rencontré plusieurs centaines de personnes d'à peu près tous les continents pour discuter, manifester, filmer, enregistrer la crise climatique. Pourtant je suis toujours partagé entre des envies contradictoires : poser mon sac pour retrouver le Morvan et les paysages de la France (je pense surtout aux sommets enneigés des Alpes depuis ma situation à 4° de latitude Nord) ou remonter dans un bus pour découvrir d'autres paysages africains. J'ai acquis une masse de connaissance qui semble importante pour certains d'après les mails que je reçois, mais je me sens comme un débutant lorsque je lis les analyses qui sortent des sommets de Copenhague ou de Cochabamba.

Je découvre les luttes africaines : franchement, ils font ce qu'ils peuvent avec les difficultés financières (avoir un local, se déplacer pour venir à une réunion ou une activité), le manque d'éducation, de relation avec les réseaux militants, l'instabilité politique... Mais c'est tout de même ici que je trouve le plus d'idées se réclamant de la révolution. Les 50 ans d'indépendance (mais pas de la fin du colonialisme) sont propices pour les militants qui mettent en avant Sankara, Lumumba et citent toujours Césaire et Senghor.

Je lis en ce moment « Il n’y aura pas de paradis » de Ryszard Kapuscinski. Le journaliste polonais raconte ses années 60 alors qu’il couvre coups d’état après coup d’état, un pays suivant l’autre. Il parle de ses dépressions, ses maladies, les moments où il se retrouve couvert d’essence prêt à être transformé en torche humaine, où les machettes lui piquent le dos mais aussi ses rencontres avec Ben Bella, Lumumba et d’autres. L’instabilité des pays et son analyse des causes me semblent toujours d’actualité, Il n’a oublié que la situation sanitaire : « Sur les chemins (des leaders africains) se dressaient toutes sortes d’obstacles : un obscurantisme séculaire, une économie primitive, l’analphabétisme, le fanatisme religieux, l’aveuglement tribal, une famine chronique, un passé colonial avec pour corolaire une politique d’avilissement et l’affaiblissement de la population colonisée, le chantage des impérialistes, une corruption sans bornes, le chômage, les balances déficitaires. »

Pour une justice climatique, encore et toujours

Lorsque je demande autour de moi qu'elles sont les impacts du changement climatique, les personnes me répondent en premier que les noms des mois ne correspondent plus aux saisons : le mois des pluies est sec, celui des semis ne convient plus, etc. Les paysans sont assez désemparés et loupent la moitié de leur récolte. Ce n'est pas la disette, mais ils semblent qu'ils ont moins de surplus à vendre sur le marché et donc moins de rentrées d'argent pour la santé, l'éducation, etc.

Mon analyse de la crise climatique reste la même, mais je trouve peu d'Africains pour la compléter ou la développer. En deux mots c'est la "double peine".

L'Afrique, notamment l'Afrique de l'ouest, est lié au colonialisme. Les fêtes pour les 50 ans d'indépendance annoncées à force de grands travaux, d'affiches, de slogans et de boubous imprimés ne sont là que pour faire oublier que la classe dominante du Nord et la France en particulier continuent de dicter leurs volontés : elle nomme les présidents, forme l'armée, accueil les futures élites dans ses universités, ponctionne directement plus de 30% des budgets nationaux pour le paiement d'une dette extérieur injuste, etc.

La première peine appliquée à l'Afrique, je garde ce terme général très vaste tant les situations sont similaires d'un pays à l'autre, est l'exploitation de ses ressources naturelles et humaines. Depuis l’époque du commerce triangulaire, puis lors de la révolution industrielle et jusqu'à maintenant le Nord s'est développé en ponctionnant les ressources naturelles du Sud : coton, bois, café, cacao, épices, minerais... La quasi totalité de l'uranium soit disant français provient d'Afrique, notamment du Niger, exploitant des enfants et contaminant les villages alentours lorsque les travailleurs "réutilisent" le moindre déchet à portée de mains.

Toutes ces ressources sont utilisées pour notre unique satisfaction et pour alimenter le productivisme du Nord, dont l’idéologie capitaliste et l'organisation (production, transport, accumulation, élimination…) est responsable des émissions de gaz à effet de serre. Pour le dire autrement, nous nous accaparons des richesses que nous digérons, et nous rejetons les déchets (CO2 et autres) qui polluent à l'échelle planétaire.

Le Sud ne se développe pas. L'Afrique concentre les pays avec les plus faibles Indice de Développement Humains. Sa population est encore très majoritairement rurale et paysanne, dont une partie n'utilise même pas la force animale ou la roue. Les riches africains polluent autant que les nôtres mais représentent une faible part du milliard d'habitant de ce continent qui émet je crois moins de 4% des émissions de gaz à effet de serre mondiale. Et pourtant, c'est la deuxième peine, la population est l'une des plus vulnérables à la crise climatique, la perte de la biodiversité ou au peak-oil. L'Afrique est condamnée à une peine dont elle n'est pas responsable.

Le cynisme du Nord va jusqu'à lui refuser l'aide nécessaire à sa survie. Les clubs de Londres ou de Paris, qui regroupent les créanciers privés et publics des pays africains, refusent d'annuler une dette extérieure déjà payé jusqu'à dix fois. Les déclarations du G8 sur ce sujet ne sont qu'une poudre aux yeux. En plus de cet impôt néocolonial, les pays de l'annexe 1 du Protocol de Kyoto (équivalent à l'OCDE) refusent de négocier un nouvel accord international permettant de réduire leurs émissions de gaz à effet de serre et de payer les dégâts qu'ils ont causé en instituant un fond d'aide à l'adaptation. Les paysans ont besoin d'un service météo efficace et d'un système d'alerte pour savoir quand planter ou pour prévenir les catastrophes naturelles par exemple.

Travailler sur les luttes contre la crise climatique en Afrique c’est à la fois :

  • comprendre le système mafieux et néo-colonial en place, qui organise le pillage du Sud au profit du Nord,
  • réclamer une justice climatique pour garantir l’accès aux biens communs (santé, éducation, culture, paix, alimentation) à la population.

Deux anecdotes sur le commerce triangulaire, qui ne se pratiquent plus mais est encore dans les esprits :

  • les touaregs portent encore des bijoux rappelant ce commerce,
  • des tribus marquent encore le visage des enfants pour les rendre "affreux" et impropre à la vente comme esclave…