L’Afrique remplace l’Asie

Mais je dois sans doute vous expliquer pourquoi je me retrouve à +40°C à l’ombre sous le tropique du cancer au lieu des -40°C à bord du transsibérien comme je l’avais annoncé en janvier… J’ai reçu des mails et des commentaires sur mon blog de personnes qui sont étonnées de ce grand écart. Il s’agit simplement d’un problème de visa et de continuité du projet « Avenir climat ».

Pour continuer mon voyage sans avion et recueillir des témoignages sur la lutte contre le changement du climat en Asie, il me fallait attendre 2 mois pour obtenir tous les visas et les billets de train Paris – Pékin. Cela me laissait à peine 3 mois pour le voyage en comptant au moins quatre semaines juste pour l’aller-retour, j’ai donc décidé de faire plus simple : direction l’Afrique ! Je prendrai mes visas aux frontières.

Après deux ans de voyage en Europe et au Moyen-Orient, je découvre un troisième continent. Je me suis décidé en quinze jours et je débarque du ferry à Tanger quasiment sans préparation sur le continent le plus pauvre du monde. L’idée que j’en ai ? Un espace sinistré, ravagé par le palu et le sida (et quelques massacres inter-ethniques), avec des élites rares et corrompues par un système hérité du colonialisme, plus une population largement analphabète et superstitieuse.

D’un autre côté, il est facile d’obtenir des visas pour aller se faire une idée directement sur place. J’ai écouté Tikken Jah, un musicien malien, parler de la francafrique, et le franco-sénégalais Sengor a inventé le terme de négritude. Le grand Zoul (un français qui fait 2 têtes de plus que moi) m’a fait entrevoir un réseau militant en Afrique de l’ouest grâce aux Etranges Rencontres et m’a appris le nom de Sankara le burkinabais. Une ONG française, le GERES, travaille sur un projet d’huile de Jatropha cultivé par des petits paysans pour créer une filière locale d’agrocarburant.

Premier pas au sud de la méditerranée

J’embarque le 19 février à Sète et arrive au Maroc le 21 après deux nuits en mer à fond de cale : les couchettes économiques sont au deuxième pont, entre les moteurs et les voitures, mais au moins on entend le bruit des vagues en s’endormant.

Je reste juste assez longtemps à Tanger pour refaire le tour de la médina et apercevoir le Gran Teatro Cervantes, inauguré en 1913 à l’époque interlope décrite par Paul Bowles.

Le 23 je monte dans le rif pour retrouver l’association GERES qui est basée à Chefchaouen, une ville surtout réputée pour être la porte d’entrée à la plus grande zone de culture de cannabis aux frontières de l’Europe. Les fortes pluies des deux derniers mois ont augmenté l’érosion, les murs qui ne sont jamais protégés par un toit étanche sont gorgés d’eau et de salpêtre. La route est bordée de drapeaux : le roi doit faire une tournée dans deux semaines et tout ce qui est à porté de son regard est maquillé comme il faut. Les rifains empoisonnés et au ? bétail décimé par la dernière campagne anti-drogue (phytocide répandu par hélico et polluant tous les cours d’eau) seront certainement tenus à l’écart. De toute façon, les lettres de cachet fonctionnent toujours dans le royaume…

A côté de cette pourriture, je découvre Abdelhkani qui travaille avec le GERES dans leur village à 1h de bus. Il se démène depuis onze ans pour améliorer la situation de son village. Après des études de droit qui ne l’ont menées nul par car il ne pouvait pas payer pour obtenir une place, il a fait construire une route et un pont, aménagé les alentours de l’école, installé l’eau courante dans les maisons, créé une coopérative agricole et installé une unité de trituration pour produire une huile de qualité. Son projet en cours : améliorer les conditions de travail des femmes dans leur cuisine avec des cuisinières multi-fonctions ou des fours à gaz améliorés qui économisent 20 à 30% d’énergie… Tout ce travail de développement est réalisé en restant au village, par des financements obtenus en montant des programmes de coopération, avec des ONG donc sur une base de non-profit. Une personne remarquable !

Découverte de l’Afrique sud-saharienne

Le 3 mars à Rabat je retrouve David, de Chalon-sur-Saône. Il descend retaper sa maison au Ghana et m’emmènera jusqu’à Bamako, sept jours de route et quelques milliers de kilomètres durant lesquels je traverse le Sahara et le Sahel et quatre pays : Maroc, Mauritanie, Sénégal puis Mali. Je rentre dans un paysage monochrome et suffocant qui sera dorénavant mon quotidien, en plus de celui de quelques millions de personnes. Des cailloux, du sable, et dès qu’il y a plus d’un arbre famélique tous les 100m on n’appellle plus ça un désert. Les routes bitumées sont en mauvais état et se résument aux axes principaux d’une frontière à l’autre, en passant par les grandes villes. Seuls les villages aperçus depuis le goudron me semblent propres : mur de terre, construction en bois, les familles n’ont pas de revenus et cultivent juste pour se nourrir, il n’y a donc pas de plastique achetés au loin.

Dès que l’on approche d’un lieu peuplé, les sacs plastiques et autres emballages s’entassent. Pas de récupération ni de stockage, il y en a dans les arbres, les égouts, les champs, les ruisseaux. Suffisamment riches pour consommer, insuffisamment instruits pour gérer leur pollution. Cette vision de surface, les croyances que les échecs sont du au mauvais sort et que l’on n'est pas responsable, les hommes inactifs de tout côté, les enfants qui vendent trois bricoles aux croisements, les récits de corruption au coin d’une table, les reportages sur un Mali parfait à la TV nationale, tout ceci plus la poussière et la chaleur me dégoutent et me stressent, sans compter cette jambe droite toujours tendue suite à mes vaccins au CHU de Dijon début février : homéopathie, ostéopathe et masseur n’y ont rien fait.

Je n’ai pas trouvé beaucoup de plaisir à voyager en Afrique pour le moment. Peu de contacts sont désintéressés ; les prix sont élevés si je compare avec l’Inde, pas de chambre à peu près propre à moins de 10€ ; cuisine malienne écœurante au bout de deux jours quelque soit l’endroit où vous mangez.

Je quitte Koutiala au Mali le 26 pour Bobo-dioulasso au Burkina-fasso, le cinquième pays de mon voyage africain. Je me suis fixé encore une étape avant de décider de rester ou de rentrer. Je serai dimanche à Ouagadugou pour rencontrer attac-burkina qui devait organiser le Forum Social rassemblant les ONG, syndicats et organisations altermondialistes. L’évènement est annulé par manque d’argent.

Bilan

Le bilan de mon projet en Afrique, après un mois sur place, est plutôt pessimiste : je connais peu l’histoire politique et sociale des pays. J’ai beaucoup de contacts, dont je ne sais que faire : des européens très tournés sur l’humanitaire (sans doute efficace mais pas dans mon domaine), des africains que je n’arrive pas à cerner.

J’ai quitté le Mali avec l’impression d’un pays qui sort à peine des périodes de famine chronique, avec une économie faible et quand même en déclin (privatisation du secteur cotonnier). J’ai rencontré des artisans et des artistes qui me font payer quatre fois plus cher parce que je suis un touriste, tout en poussant des grands cris parce que je marchande. Un chef d’entreprise explique qu’ici la France nomme les chefs d’Etats. Un bordel ambiant qui déstabilise.

J’ai encore trois mois devant mois pour le voyage. Je suis quasiment sûr de ne pas rentrer par la route : il fera trop chaud et en transport en commun ça sera trop aventureux à mon gout à travers des zones désertiques et où les bus en panne attendent des jours avant de recevoir une assistance mécanique. A moins que je ne trouve un français en voiture, je risque de rentrer en avion (malgré l’un des principes de base de mon projet) ou alors en bateau (ce qui prend du temps et beaucoup d’argent).

Sur le fond du projet Avenir climat j’ai aussi du mal : les rares initiatives que j’ai rencontrées (5 interviews au Maroc et 4 au Mali) dépendent toutes des européens. Face au dénuement des populations, et à leur manque d’éducation, je trouve peu d’intérêt. Tout est à faire, souvent depuis la base : éducation, santé, agriculture. L’environnement est souvent cité comme un ingrédient de tous les projets, ce qui me semble remarquable, mais reste une goutte d’eau dans un océan de poussière. Est-ce utile ? Quel est mon rôle ici ?