Je rentre de quatre journées passionnantes à Tokyo (et Kyoto) à l'occasion d'une conférence du C40 sur le dérèglement climatique, où je représentais la ville de Paris. De nombreux enseignements. Des signaux positifs et des signaux extrêmement inquiétants.

C40, Quesako ?

Le C40 regroupe les quarante plus grandes villes du monde (ou à peu près), représentant la bagatelle de 700 millions d'habitants, dont 20 villes du Nord de la planète et 20 villes du Sud (*). Ce regroupement s'est créé en 2005, à l'initiative de Ken Livingstone (alors maire de Londres) pour faire converger l'action des villes contre le dérèglement climatique. Il est actuellement présidé par David Miller, maire de Toronto, visiblement dynamique, sympathique et facile d'accès, et, autant qu'on puisse en juger aux discours et à la connaissance des dossiers, particulièrement conscient et impliqué dans la lutte contre le dérèglement climatique.

C'est d'ailleurs un constat assez global. Même si on doit relativiser (parce que chaque ville est représentée par ceux qui sont les plus impliqués dans l'objet de la conférence), l'impression est celle d'une prise de conscience très aiguë de la situation, et de ce qui nous menace, par les villes du monde entier. La différence avec l'apathie qui existe globalement dans le débat politique et médiatique français et particulièrement frappante. D'ailleurs, le constat général est que, dans ces villes, on n'est pas dans le débat, mais bien dans l'action.

(note de benka : l'association doit être financé par la fondation de Bill Clinton, vu les logos présent partout)

La situation de la planète, c'est encore plus grave

La conférence s'est ouverte par une intervention de ¾ d'heure du professeur Martin Parry, l'un des principaux responsables du GIEC, qui a notamment présidé le groupe de travail sur les scénarios sur l'impact du dérèglement climatique. La tonalité très « british » de son intervention ne masquait en aucune façon la gravité de la situation : toutes les courbes montrent que la situation se détériore plus vite que le plus sombre scénario élaboré par le GIEC (ce que sont venus d'ailleurs confirmer de nombreux rapports et articles de presse, notamment en provenance de James Hansen, le spécialiste de la NASA). De son point de vue, l'aspect le plus critique sera probablement l'accès à l'eau dans de nombreuses régions du monde (et la surabondance des précipitations dans de nombreuses autres). Avec chaque degré d'augmentation de la température du globe à moyen terme, c'est globalement un milliard de personnes supplémentaires touchées par l'insuffisance d'accès à l'eau. Et les conséquences sur la santé (notamment pour les plus pauvres, les jeunes enfants et les personnes âgées), l'agriculture, les éco-systèmes, les côtes, la biodiversité, etc. sont à l'avenant. Les régions les plus vulnérables étant l'Afrique, les mégas deltas asiatiques, les petites îles et l'Arctique.

Tout cela est partiellement connu, mais prend une résonance toute particulière dans la bouche de ce scientifique qui ne s'embarrasse pas d'effets de manche. A côté, Yves Cochet passerait pour un optimiste invétéré ;-). Lors de la conférence de presse finale, à la question « quand aura-t-on atteint le point d'irréversibilité ? », il n'hésite pas à répondre « pour certains, il est peut-être déjà dépassé ». Ou sur les coûts à investir aujourd'hui, à la réponse classique « qu'ils sont de toutes façons moins importants que ceux qui seront nécessaires pour s'adapter au dérèglement climatique », il n'hésite pas à ajouter que les Etats restant inactifs « le coût de l'adaptation demain ne cesse de croître, tant qu'on n'agit pas aujourd'hui » et que « probablement, dans certaines régions du globe, l'adaptation sera impossible ». Les tableaux qu'il présente sur les conséquences globales, degré de température par degré de température, du dérèglement climatique sont impressionnants. Pas de catastrophisme, juste des constats scientifiques implacables.

La conférence portant particulièrement sur les villes, on est forcément surpris de constater que le premier exemple qu'il cite (avant même la Nouvelle Orléans, les cyclones en Asie et en Amérique Latine) est Paris avec la sécheresse de 2003 et la surmortalité extrêmement forte de la mi-août. Alors qu'en France les autorités estiment avoir traité le problème en organisant plus de lieux conditionnés et des visites chez les personnes âgées (mesures utiles, mais dont personne ne peut dire si elles auraient vraiment permis de réduire le nombre de décès), le cas d'espèce que nous constituons est visiblement considéré par les experts du GIEC comme l'un des phénomènes les plus prévisibles dans les villes à l'avenir (voir aussi plus bas).

L'inaction des Etats, l'action des villes

Ce qui frappe particulièrement dans le consensus de la conférence, c'est la consternation sur le temps perdu par les Etats pour réellement prendre les mesures nécessaires pour lutter contre le dérèglement climatique. Déclarer, comme l'a fait le maire de Toronto, « les Etats parlent, les villes agissent » est sans doute un peu caricatural, mais marque clairement la volonté de constituer un véritable lobby des villes pour faire pression sur les Etats, en axant particulièrement le discours sur le fait que 50% des terriens vivent en ville, et émettent 70% des gaz à effet de serre. Les Etats-Unis sont particulièrement caractéristiques de cette situation où l'Etat central étant inactif, ce sont les villes (et les Etats) qui ont pris la main et agissent sans attendre. Mais dans beaucoup d'autres pays aussi, et notamment en France, il est clair que les villes sont bien plus allantes que les Etats.

Lors de la longue discussion que j'ai pu avoir avec le maire de Toronto quant à la meilleure façon que les villes pèsent sur le cours des évènements, un certain nombre d'étapes ont commencé à se dessiner, en prévision de la conférence de Copenhague, dans un an, qui doit adopter la suite des accords de Kyoto. Lors de la prochaine réunion du C40 à Séoul au printemps, une déclaration en direction des Etats pourrait être adoptée (mettant en évidence 1) que les villes agissent ; 2) que les Etats doivent se mettre d'accord sur la suite de Kyoto ; 3) que chaque Etat doit adapter ses lois pour lever les freins à l'action des villes qui veulent aller encore plus loin). Parallèlement, les villes essaieraient, chacune dans leur pays, de faire entrer des représentants dans les équipes de négociation. Et à Copenhague, en parallèle du sommet étatique, une grande conférence des maires du monde serait organisée.

« mitigation and adaptation »

Le grand sujet de la conférence de Tokyo - et qui montre combien la réflexion est bien plus avancée dans de nombreux pays qu'en France - était de voir quelles actions pouvaient être menées non seulement pour limiter les émissions de gaz à effet de serre (mitigation), mais aussi pour adapter les villes afin qu'elles soient plus robustes aux chocs à venir.

La prise de conscience des catastrophes potentielles tranche franchement avec l'apathie française, non seulement quand on écoute les représentants des pays du sud déjà frappés par les évènements climatiques (Dacca, Delhi, les villes africaines et sud américaines), mais aussi Tokyo (qui a déjà une forte culture d'adaptation au risque sismique) et dont la température a déjà augmenté de 3 degrés par rapport aux températures moyennes d'il y a un siècle, ou encore New York dont l'équipe présente à Tokyo comprenait notamment une représentante des services de prévention des catastrophes.

Pas étonnant, dans ces conditions, que les ateliers aient porté sur :

  • la prévention des inondations : avec les cas d'espèce de nombreuses villes portuaires comme New-York, Tokyo, villes de l'Asie du Sud-Est ou encore Londres
  • la prévention des sécheresses : avec une réflexion particulière sur les îlots de chaleur que constituent les villes (des statistiques montrant par exemple que dans certaines villes la température la nuit reste près de 10 degrés supérieure à celle de la campagne environnante ; hors c'est surtout la température nocturne qui a particulièrement été mortelle à Paris en 2003, ne permettant pas aux personnes âgées de pouvoir récupérer), et pour lesquelles de nombreuses villes expérimentent l'accroissement de la végétalisation (notamment sur les toits), des revêtements de chaussées et de toits qui réfléchissent les rayons du soleil plutôt que les absorber, etc.
  • l'organisation de l'alimentation des villes (circuits courts, modes alimentaires, alimentation biologique... mais aussi OGM - voir plus bas)
  • les services de santé, l'accueil des réfugiés
  • la qualité de l'eau

Ayant été invité à exposer la politique parisienne des déplacements mise en œuvre dans le précédent mandat, j'ai aussi particulièrement insisté sur la combinaison chaleur + pollution qui a constitué un facteur aggravant très important dans la mortalité de 2003, et à quel point une action de réduction de la circulation automobile intervient à la fois dans la « mitigation » (réduction des gaz à effet de serre) mais aussi dans l'adaptation (diminution des risques dans les épisodes de chaleur) particulièrement quand on développe des modes alternatifs de déplacement. Ce fut d'ailleurs l'occasion de constater à quel point l'action que nous avons mené à Paris est largement connue. Pas un rendez-vous, formel et informel, pendant ces journées, où on ne me parle de ce qu'on a mis en œuvre à Paris (et quand je dis « on », il faut comprendre que c'est ce qu'ont réalisé les élus Verts) - avec une mention particulière pour Vélib que tous veulent mettre en œuvre - sur les déplacements, mais aussi le plan climat parisien... le directeur de l'environnement de Tokyo étant particulièrement fier de me montrer un exemplaire du plan climat parisien traduit en japonais (!) et dont ils étaient en train de s'inspirer.

Beaucoup d'éléments très intéressants dans ces discussions aussi sur la façon dont de nombreuses villes expérimentent aujourd'hui la mise en place des renouvelables, l'isolation thermique des bâtiments - un programme d'envergure de réhabilitation des tours à Toronto qu'on pourra transmettre à Delanoë ;-) - etc.

OGM et dérèglement climatique

Le seul élément dissensuel de la conférence a porté sur un sujet a priori inattendu pour moi, mais sur lequel plusieurs villes (ou plutôt des laboratoires de ces villes) se penchent : les OGM pour produire des plantes plus résistantes au dérèglement climatique. Même si la discussion concernait finalement peu de participants, elle fut intéressante et instructive sur les contradictions potentielles dans lesquelles nous pouvons nous retrouver. L'occasion de constater que la résistance française aux OGM est passablement isolée face à de nombreux pays où les OGM sont déjà largement développés, et difficulté évidente à s'opposer idéologiquement à tout OGM si est mis dans la balance la survie de millions de personnes dont l'agriculture traditionnelle serait mise en péril par la sécheresse, les inondations, la multiplication des insectes, etc. L'argumentation sur les risques de fuite en avant dans la technologie trouvait certes des échos parmi les plus politiques, mais beaucoup moins parmi les techniciens et scientifiques (notamment les japonais présents en nombre). A force de discussions et d'amendements, le texte final (qui évoque la recherche sur les OGM dans l'une des 13 actions sur lesquelles certaines villes veulent agir ensemble) parle dorénavant de « contrôle des OGM », de « recherche en milieu confiné », de « liberté de choix pour les agriculteurs », de vigilance sur « les risques de dissémination ».

Des avancées à relativiser, mais un débat qui en dit long sur le rapport de force à venir entre politiques d'un côté, et technologie et lobbies économiques de l'autre, y compris dans la lutte contre le dérèglement climatique. A noter malgré tout que, s'il se trouvait à la conférence des défenseurs des OGM, il n'y eut personne pour évoquer le nucléaire, même côté japonais, comme quoi il s'agit bien surtout aujourd'hui d'une lubie franco-française.

A suivre...

Denis Baupin

(*) Bangkok, Beijing, Delhi , Dhaka, Hanoï, Hong Kong, Istanbul, Jakarta, Karachi, Mumbai, Seoul, Shanghai, Tokyo, Chicago, Houston , Los Angeles, New York, Philadelphia, Toronto, Bogotá, Buenos Aires, Caracas, Lima, Mexico City, Rio de Janeiro, Sao Paulo, Athènes, Berlin , London, Madrid Moscou, Paris, Rome, Varsovie , Melbourne Sydney , Addis -Abeba , Le Caire, Johannesburg, Lagos

Pour en savoir plus : www.c40cities.org