Conférence d'Al Gore à Monterrey (Mars 2008) (retranscription et traduction : Bruno COMMERE)

J'ai donné plus de 2000 fois la conférence que j'ai présentée ici il y a deux ans. Je présente celle de ce matin pour la première fois. Je ne vais donc pas chercher à mettre la barre plus haute, je vais mettre la barre un peu plus basse pour aborder ce nouveau défi.

Si la religion bien comprise ne concerne pas la croyance mais le comportement, on peut probablement en dire autant de l'optimisme. Comment osons-nous être optimistes ? L'optimisme se caractérise parfois comme une croyance et comme une façon d'être. Gandhi disait : "Vous devez devenir le changement que vous souhaitez voir dans le Monde." Et le résultat pour lequel nous souhaitons aujourd'hui être optimistes doit être engendré par la seule croyance, à la différence que cette croyance implique elle-même de nouveaux comportements. Je pense que le mot "comportement" est parfois mal compris dans ce contexte. Je suis un grand défenseur des lampes à basse consommation, des voitures hybrides, j'ai trois panneaux solaires sur mon toit et des puits géothermiques et tout ce genre de choses. Mais aussi important soit-il de changer nos comportements quotidiens, nous devons aussi faire évoluer la citoyenneté et à la démocratie. Pour être optimistes sur ce sujet, nous devons devenir incroyablement actifs en tant que citoyens dans nos démocraties. Pour résoudre la crise climatiques, nous devons aussi résoudre la crise démocratique… car nous en avons une.

J'essaie de le dire depuis très longtemps. J'en ai pris conscience récemment grâce à une femme qui passait près de moi. Elle avait environ soixante-dix ans, l'air sympathique et j'étais assis à ma table. Elle me regardait fixement, je lui dis "bonjour" et elle me dit "Vous savez, si vous aviez les cheveux teints en noir, vous ressembleriez à Al Gore".

Il y a de nombreuses années, quand j'étais un jeune parlementaire, j'ai beaucoup travaillé sur le contrôle des armes nucléaires et la course à l'armement, et les historiens militaires m'expliquaient qu'il y a trois catégories de conflits militaires : les batailles locales (le champ de bataille), les conflits régionaux et plus rarement les guerres globales, les conflits stratégiques. Et chaque type de conflit requiert des moyens, des approches et une organisation différents. Les défis environnementaux tombent dans ces trois catégories mais nous pensons le plus souvent aux problèmes locaux : la pollution de l'air, la pollution de l'eau, les déchets. Il y a aussi les problèmes régionaux comme les pluies acides mais la crise climatique s'assimile aux conflits stratégiques globaux. Tout est impacté et nous devons donc organiser notre réponse de manière appropriée. Nous avons besoin d'une mobilisation mondiale pour des moyens nouveaux et efficaces de production et stockage de l'énergie et pour une transition globale vers une économie sans carbone. Nous avons beaucoup de travail à faire et nous devons mobiliser nos ressources et la volonté politique, mais cette volonté politique doit être globalisée pour pouvoir mobiliser toutes ces ressources.

Je vais vous montrer quelques photos. Sur cette vue des pôles, il manque la calotte glaciaire, il reste le Groenland. Il y a 28 ans, voici à quoi ressemblait la calotte glaciaire à la fin de l'été, au moment de l'équinoxe. A l'automne dernier, j'ai visité le centre "Neige & Glace" de Boulder (Colorado), j'y ai rencontré les chercheurs et ils m'ont montré ce qui est arrivé au cours des 28 dernières années. La quantité de glace polaire a diminué régulièrement, 2005 fut une année record, et voici 2007 ! La calotte polaire occupe approximativement la même surface que les Etats-Unis moins l'état d'Arizona, la surface qui a disparu en 2005 était équivalente à toutes les régions à l'est du Mississipi. La quantité qui a disparu ce dernier automne occuperait la moitié des USA. Bien sur elle se reforme en hiver, mais ce n'est plus de la glace permanente, c'est une glace plus mince et plus vulnérable. La quantité restante pourrait avoir complètement disparu d'ici 5 ans. Ceci met une pression énorme sur le Groenland. Voici ce qu'on observe tout autour du cercle polaire photos et la quantité de neige disparue en Antarctique équivaut à la surface de la Californie.

J'aimerais maintenant partager brièvement avec vous l'histoire de 2 planètes. La Terre et Vénus ont presque exactement la même taille. La diamètre de la Terre fait 400 km de plus, c'est donc une taille équivalente. Elles ont exactement la même quantité de carbone mais la différence est que sur Terre, la plus grande partie du carbone a été éliminée de l'atmosphère et déposée dans le sol sous forme de charbon, de gaz naturel et de pétrole, alors que sur Vénus la plupart du carbone est dans l'atmosphère. Il en résulte que notre température est en moyenne de 15°C contre 460°C sur Vénus ! Ceci est tout à fait cohérent avec notre stratégie actuelle d'extraire un maximum de carbone du sol pour l'injecter le plus rapidement possible dans l'atmosphère ! Et ce n'est pas parce Vénus est légèrement plus proche du Soleil, elle est trois fois plus chaude que Mercure qui est pourtant dans le voisinage immédiat du Soleil.

Maintenant, voici une image que vous avez déjà vue, mais je la montre car je voudrait reparler en détail du climat. La communauté scientifique nous dit : "L'homme génère une pollution globale, l'envoie dans l'atmosphère et ça augmente le piégeage des rayons infrarouges". Dans le dernier document de synthèse du GIEC, les scientifiques voulaient exprimer que leur niveau de certitude était de 99%, la Chine a objecté et le compromis a été "plus de 90%". Il y a aussi les sceptiques qui disent : "Attendez ! Ca pourrait être des variations de l'énergie qui provient du Soleil !". Si c'était vrai, la stratosphère chaufferait comme les basses couches de l'atmosphère. Si c'est le piégeage qui augmente, alors on s'attendrait à plus de chaleur en bas et plus de fraîcheur en haut. Et c'est exactement ce qu'on observe : la stratosphère est plus froide !".

Et voici maintenant une bonne nouvelle. 68% des Américains croient désormais que l'activité humaine est responsable du réchauffement climatique. 69% croient que la Terre se réchauffe de manière significative. Il y a eu beaucoup de progrès mais voici le point clé : lorsqu'on donne aux gens une liste de défis à relever, le réchauffement climatique est toujours en fin de liste. Ce qui leur manque est la notion d'urgence ! Si vous êtes d'accord avec les faits mais que vous ne ressentez pas l'urgence, qu'est-ce qui vous manque ? L'Alliance pour la protection du climat en relation avec une chaîne de télévision a organisé un concours mondial de spots et films publicitaires. Dans celui-ci on voit : "En 2005, les Etats-Unis ont relâché 6,1 milliards de tonnes de CO2 dans l'atmosphère. C'est équivalent à 1,2 milliards d'éléphants ! On ne peut plus ignorer les 1,2 milliards d'éléphants au-dessus de nos têtes !". En 2007, NBC a posé 956 questions aux candidats aux élections présidentielles, 2 seulement concernaient la crise climatique, ABC : 2 sur 844, Fox : 2 sur 601, CNN : 2 sur 481, CBS : 0 sur 319 !… du rire aux larmes, comme dans les vieilles campagnes anti-tabac !

Et voici ce que nous sommes entrain de faire ! Voici la consommation d'essence d'une vingtaine de pays (dont la Chine)… et la nôtre ! Mais ce n'est pas qu'un problème des pays développés. Les pays en voie de développement suivent maintenant notre trace et ils accélèrent le rythme. Leurs émissions de cette année sont équivalentes aux nôtres en 1965, et ils nous rattrapent dramatiquement ! En 2025, ils seront approximativement où nous étions en 1985. Si les pays riches étaient complètement absents, nous aurions quand même une crise. Nous avons donné aux pays en voie de développement les technologies et les modes de pensée qui sont à l'origine de la crise. Voici une vue de la déforestation en Bolivie, sur une période de 20 ans. Voici les prises de pêche depuis les années 60 jusqu'à maintenant : nous devons arrêter ça !

La bonne nouvelle est que nous en sommes capables ! Nous disposons des technologies, il nous manque une vision unifiée pour affronter la situation. La lutte contre la pauvreté dans le Monde et le défi de la réduction des émissions des pays riches ont une même et simple solution. Cette solution est de mettre un prix sur le carbone ! Il nous faut une taxe sur le CO2, fiscalement neutre pour remplacer les taxes sur le travail (qui furent inventées par Bismarck… et beaucoup de choses ont changé depuis le 19ème siècle !). Dans les pays pauvres, nous devons associer les remèdes à la pauvreté avec les solutions de la crise climatique. Les plans contre la pauvreté en Ouganda seront vains si on ne résout pas la crise climatique. Mais ces réponses peuvent faire une énorme différence dans les pays pauvres : - les énergies renouvelables sont souvent le meilleur moyen d'apporter l'électricité là où elle n'est pas - le marché des émissions apporte de nouvelles ressources pour un développement durable - les programmes de reforestation peuvent aider à maintenir les populations rurales Voici une proposition publiée dans la revue Nature et dont on a beaucoup parlé en Europe. Il s'agit de centrales solaires installées dans le désert africain et mises en réseau pour alimenter toute l'Europe en électricité. C'est n'est pas de la science-fiction, c'est tout à fait réalisable. Nous devons le faire pour notre économie. Ces chiffres montrent que notre vieux modèle ne fonctionne plus : Toyota et Honda font respectivement 39 et 13% de profit tandis que General Motors et Ford perdent 33 et 40%. Si vous investissez dans les compagnies pétrolières, vous avez un portefeuille plombé par des "subprimes carbonées". Voici en revanche un aperçu des investissements qui pour moi ont un sens : géothermie, énergie solaire, conversion photovoltaïque, stockage d'énergie…

Vous avez déjà vu cette liste des pays qui ont ratifié le protocole de Kyoto, mais il y a du nouveau ! Des deux pays n'avaient pas ratifié, il n'en reste plus qu'un : les USA ! Il y eu des élections en Australie et une campagne a impliqué la télévision, internet, la radio et des spots publicitaires pour souligner le caractère d'urgence pour ces gens. Nous avons formé 250 personnes qui ont donné des conférences dans chaque ville et dans chaque village. Beaucoup d'autres choses ont contribué mais le premier ministre a annoncé que sa toute première priorité serait de changer la position de l'Australie à l'égard de Kyoto : et il l'a fait ! Il y a eu aussi une prise de conscience à cause d'une terrible sécheresse qu'ils ont subie. Un ami me disait qu'on devrait donner un nom aux sécheresses comme on le fait pour les cyclones… Nous ne pouvons pas attendre de subir la même sécheresse qu'en Australie pour changer notre culture politique.

Et voici encore plus de bonnes nouvelles ! Il y a maintenant 780 villes favorables au protocole de Kyoto aux Etats-Unis… parmi lesquelles Monterrey où nous sommes ce soir.

Et maintenant pour finir. Il a été question ces derniers jours de la valeur de l'héroïsme individuel, ça parait tellement banal et ça devient de la routine. Mais nous avons besoin d'une nouvelle génération de héros. Nous, en particulier nous qui vivons aux Etats-Unis d'Amérique aujourd'hui, mais aussi tout le reste du Monde, nous devons comprendre que l'Histoire nous place devant un choix. Notre culture est une culture de la distraction, mais nous avons une urgence planétaire et nous devons trouver les moyens de créer chez nos contemporains le sentiment d'une "mission de génération". Je souhaiterais pouvoir trouver les mots pour faire passer ce message. Il y a eu d'autres générations de héros : ceux qui ont apporté la démocratie sur cette planète, ceux qui ont aboli l'esclavage ou donné le droit de vote aux femmes, ceux qui ont ramené la démocratie en Europe. Nous pouvons le faire ! Ne me dites pas que nous n'avons pas la capacité de le faire alors que nous avons pu envoyer un homme sur la Lune ! Si nous avions seulement l'argent correspondant à une semaine de guerre en Irak, nous serions déjà en bon chemin pour relever ce défi. Nous avons toute la capacité pour le faire !

Un point pour terminer : Je suis optimiste car je crois que nous avons la capacité, lorsque nous sommes confrontés à de grands défis, de mettre de côté nos distractions et de relever les défis que l'Histoire nous présente. Parfois j'entends des gens réagir face aux éléments factuels de la crise climatique en disant : "Oh ! Mais c'est terrible ! Quel fardeau sur nos épaules !". J'aimerais vous inviter à lutter contre cette attitude. Combien de générations dans l'histoire de l'humanité ont eu cette opportunité de relever des défis qui nous poussent littéralement à nos limites, des défis qui peuvent faire sortir de nous bien plus que ce dont nous aurions pu nous croire capables ? Je pense que nous devrions aborder ce défi avec de la joie et une immense gratitude car nous sommes la génération qui sera célébrée dans 1000 ans par des orchestres, des chanteurs et des poètes qui diront : "Ils ont puisé au plus profond d'eux-mêmes pour résoudre cette crise et poser les bases d'un futur brillant et optimiste pour l'humanité".

Faisons-le ! Merci.

Al Gore / Monterey / Mars 2008 (retranscription et traduction : Bruno COMMERE)