Pour les économistes et les experts de l'environnement interrogés par Le Monde, l'effet bénéfique de la crise sur l'environnement est réel. "Mais si la crise va entraîner une moindre consommation, cela repoussera le problème, cela ne le résoudra pas", dit Sylvie Faucheux, de l'université de Versailles. De même, Nicholas Stern, de la London School of Economics, auteur de l'important rapport sur les conséquences économiques du changement climatique (publié en novembre 2006), estime que "deux à trois ans de faible croissance des émissions de gaz carbonique ne changent pas beaucoup la donne. Le vrai objectif est de passer à une croissance qui émet peu de CO2".

Un effet pervers pourrait même être que, "comme en 1973, la crise fasse oublier la préoccupation écologique", remarque Jean-Marie Harribey, de l'université de Montesquieu-Bordeaux-IV, et vice-président de l'organisation non gouvernementale ATTAC.

Or, rappelle Christian Coméliau, de l'Institut universitaire d'études du développement, à Genève, "les crises écologique, pétrolière et alimentaire ne s'arrêtent pas parce qu'il y a une crise économique". Un rappel en a été récemment fait par Pavan Sukhdev, économiste de la Deutsche Bank, dont l'étude sur l'économie des systèmes naturels a estimé entre 2 000 et 5 000 milliards de dollars par an la perte annuelle des services rendus par la nature, perte due à la destruction des écosystèmes.

"Il y a un enseignement à tirer de la crise financière, dit Nicholas Stern. Si nous ignorons les risques qui se développent dans un système, nous finissons par des troubles graves. C'est une leçon très puissante pour le changement climatique, dont les conséquences, si l'on n'agit pas, seront beaucoup plus grandes que la crise actuelle."

Un autre aspect observé dans la crise est la question sociale : "S'il y a récession et ralentissement de la production, cela permettra une moindre pression sur l'environnement, remarque Benjamin Grebot, un expert du mouvement Utopia. Mais ce sera subi, pas choisi, et ce seront les plus modestes qui en paieront les premiers les conséquences."

"Tout le monde ne sera pas frappé de la même manière, confirme Jean-Marie Harribey, cela implique la remise en cause de la répartition des revenus." Pour Sylvie Faucheux, "on est arrivé aux limites de la décence en ce qui concerne la répartition des richesses. Les économistes libéraux ont oublié que leurs ancêtres, Smith, Ricardo, insistaient autant sur la question de la répartition que sur celle de la production".

Un accord général se fait sur l'idée que "la crise peut être une chance si elle permet de repenser le mode de développement", selon l'expression de Jean-Marie Harribey. "S'il n'y a pas une prise de conscience généralisée par les responsables politiques des pays occidentaux de la nécessité de changer de manière radicale, explique Sylvie Faucheux, ce sera la mort du système dans quelque temps, parce qu'il y aura un retour de bâton qui sera soit social soit environnemental."

Deux voies de solutions se dessinent, l'une plus technologique, l'autre plus sociale. La première est défendue par Nicholas Stern, pour qui "nous devrions investir dans des infrastructures permettant de produire l'électricité autrement, dans des bâtiments plus efficaces énergétiquement, afin de passer à une économie émettant peu de carbone". Il poursuit : "Il y a une opportunité énorme de tels investissements, probablement de mille milliards de dollars par an dans les vingt prochaines années. Cela aidera à sortir de la récession et aidera donc à résoudre le problème de la distribution."Mais, comme l'observe Christian Coméliau, "la croissance est mise en cause, parce que le poids de la crise financière ajoute au facteur écologique un élément de blocage".

Plutôt que la recherche d'une rupture technologique, la seconde voie privilégie la modification des régulations du système économique : "Il faut, dit Jean-Marie Harribey, élargir la sphère non marchande, à l'impact environnemental généralement bien plus faible : la santé, l'éducation en sont les deux piliers."

En tout cas, estime Benjamin Grebot, "l'occasion est là pour se reposer la question du système actuel, qui vise la rentabilité à tout prix, sans s'interroger sur l'environnement. Il ne s'agit pas de sortir de l'économie de marché, mais de l'organiser autrement".

Hervé Kempf Article paru dans l'édition du 21.10.08