Toutefois, les méthodes commerciales osées employées par Ryanair pour s'installer dans les aéroports régionaux commencent à faire débat. Les chambres régionales des comptes (CRC) rendent une à une des rapports d'observations définitives tout à fait éloquents. Dans leur majorité, les sages révèlent de grosses irrégularités et des agissements fort peu conformes avec le droit dans les relations entre les gestionnaires d'aéroports et Ryanair.

Carcassonne, Brest, Beauvais, Dinard, La Rochelle et autres sont sur la sellette. Des aéroports où la compagnie dirigée par Michael O. Leary est le plus souvent omniprésente et où elle peut donc dicter une méthode qui fait largement appel aux deniers publics tout en vantant les mérites du libéralisme.

« L'analyse des clauses du contrat d'assistance et des conditions d'exploitation de la compagnie permet d'appréhender les avantages financiers consentis », a conclu la CRC d'Aquitaine, rejointe par ses consœurs qui ont essayé de quantifier les aides directes ou indirectes reçues par cette compagnie. Des montants astronomiques qui, ajoutés à une vraie maîtrise des coûts, expliquent les incroyables bénéfices de cette entreprise.

Des aides par millions

A titre d'exemple, Ryanair a obtenu de la chambre de commerce et d'industrie (CCI) de Tours 2 177 000 euros d'aides diverses en trois ans. A Carcassonne, on parle de 4 millions d'aide marketing, à quoi s'ajoute une participation au budget de l'aéroport de 3 millions d'euros. A Nîmes, des accords rétroactifs ont été signés pour justifier le versement de 1 004 275 euros, effectué par la collectivité à Ryanair à titre de publicité. Entre 2004 et 2006, pas moins de 4 millions d'euros auront donc été versés à la compagnie irlandaise, sans parler des charges non comptabilisées, comme celles des services d'accueil ou de réservation. « Des “contributions” qui ne reposent pas sur des dépenses effectives engagées par Ryanair », renchérit la CRC de Bretagne.

A Carcassonne, la CRC s'interroge sur la valeur juridique des engagements de la CCI. A Brest, même point de vue : « ce sont des contrats juridiquement contestables ». Dans ce même aéroport, « c'est un tarif dérogatoire qui est accordé à Ryanair en matière de prestations d'assistance », note encore la CRC.

A Rodez, le cas s'avère encore plus éloquent puisque, entre 2004 et 2006, les trois collectivités locales ont versé un total de 1 956 664 euros alors que Ryanair ne respectait pas les termes de son contrat, lequel prévoyait « un service de transports aériens quotidiens entre l'aéroport de Rodez et celui de Londres Stansted ». La CRC note que « le nombre de rotations assurées actuellement par Ryanair se situe très en deçà d'une moyenne quotidienne. Pour la période d'octobre 2006 à mars 2007, Ryanair affiche un maximum de trois vols hebdomadaires, limité à un seul vol au cours du mois de janvier ».

A Poitiers, la CRC révèle que « rien ne permet d'assurer que les tarifs publics des redevances soient fixés à un niveau suffisamment élevé pour couvrir les dépenses associées ».

En l'absence de ces tarifs spécialement négociés, la compagnie Ryanair aurait assumé une charge supplémentaire de 280 000 euros. Les CRC s'étonnent aussi que de nombreux contrats soient rédigés en anglais. « La CCI de Brest s'est affranchie des règles d'ordre public sur la rédaction des contrats en français, ce qui fait peser un risque juridique supplémentaire », note la CRC de Bretagne.

Des tarifs imbattables

Mais Ryanair sait aussi jouer de la concurrence pour obtenir les meilleurs tarifs face aux autres aéroports. Carcassonne, par exemple, a été préféré à Nîmes pour l'ouverture d'une ligne vers Charleroi. Ainsi, Ryanair obtient des tarifs tout à fait surprenants qui ne permettent pas aux aéroports d'équilibrer leurs comptes. Ryanair souhaite en effet payer les redevances les plus faibles possibles. « La concurrence des autres aéroports a permis à Ryanair d'augmenter le niveau marketing exigé et nous a obligés à suivre pour obtenir de nouvelles lignes qui, dans le cas inverse, seraient allées à d'autres », explique la CCI de Carcassonne. A Brest, la CRC estime que les rabais globaux consentis à Ryanair se situent entre 100 et 179 % selon les années, soit une aide de 10 et 14 euros apportée par passager. Autre exemple flagrant, à Biarritz : une prestation de 365 euros est prévue pour l'atterrissage d'un Boeing-737 800, alors que Ryanair ne verse que 62,50 euros par atterrissage, ce qui constitue, pour 543 vols effectués en 2005, 159 000 euros d'avantages financiers consentis à la compagnie. A Nîmes, la CRC note que « la fidélisation de Ryanair dépend principalement des conditions tarifaires que la compagnie obtient de la part tant des gestionnaires des aéroports que des collectivités locales ».

Là aussi, la CRC « s'interroge sur la valeur juridique des engagements de la CCI ». En Bretagne, après plusieurs alertes, un nouveau contrat a été signé en 2005, mais il ne respecte pas plus la jurisprudence. « Les modulations des redevances d'assistance ne sont pas objectivement justifiées ni rendues publiques, ni égales à celles des autres compagnies », explique la CRC. « Quant au contrat marketing, il n'est pas davantage fondé sur des dépenses effectives de promotion de la région par le groupe Ryanair. »

Aucun mécanisme de remboursement n'est prévu en cas de non-respect des engagements de Ryanair, ses engagements pouvant d'ailleurs de facto être suspendus à tout moment.

Pour contourner la difficulté, Biarritz a créé l'Association pour le développement touristique et la promotion de l'aéroport de Biarritz-Anglet-Bayonne, dont « le rôle prépondérant porte manifestement essentiellement sur l'apport de l'aide financière à Ryanair ». La CRC reconnaît que « Ryanair exige du gestionnaire le versement annuel d'une contribution dite “de marketing”, présenté comme une participation aux dépenses de promotion ». Au total, entre 2000 et 2005, ce sont 1 019 375 euros qui lui auront été versés par l'intermédiaire d'associations. La CRC s'étonne que, dans les faits, ces associations se soient vues confier la mission de collecter des fonds publics et de les reverser à Ryanair. Le traitement de faveur dont bénéficie la compagnie est ainsi mis en exergue : « La marge d'exploitation dégagée en 2005 par les deux lignes Ryanair s'établit à un niveau beaucoup plus faible que celle des moyennes calculées. » Autrement dit, les autres compagnies aériennes qui opèrent sur la plate-forme financent plus les installations.

Des aides entachées d'irrégularité

Il apparaît pourtant qu'en additionnant l'ensemble des aides directes et indirectes versées à Ryanair depuis 2000 par les gestionnaires d'aéroports qui ont fait l'objet d'une enquête des CRC, on atteint la somme extravagante d'une centaine de millions d'euros, sans compter les remises diverses obtenues par la compagnie irlandaise dans l'usage des aéroports régionaux. Sachant que Ryanair utilise les mêmes pratiques dans les 25 pays où elle opère, on peut donc en conclure qu'une part substantielle des bénéfices qu'elle annonce chaque année sont le fruit de subventions versées par le contribuable européen. Sans ces subventions, les prix de ses billets ne pourraient demeurer si bas, et ses bénéfices aussi… importants.

De tous les aéroports audités par les CRC, celui de Nantes apparaît comme le plus respectueux de la légalité. En revanche, pour la majorité des autres, aucune action en justice n'a été à ce jour entreprise, si ce n'est pour Pau. La Commission européenne, que nous avons interrogée, précise que, « selon les règles procédurales, il est de la responsabilité de l'Etat membre de notifier à la Commission toute aide d'Etat ».

Côté français, nous avons interrogé la Direction générale de l'aviation civile, qui explique qu'elle ne peut intervenir que sur demande des préfets. Nous avons donc interrogé bon nombre de préfectures pour leur demander ce qu'elles comptaient faire des rapports de la commission régionale des comptes. Certains préfectures ont fait la sourde oreille, d'autres nous ont conseillés de nous adresser aux… CCI mises en cause dans les rapports. Certaines comme celle des Pyrénées Atlantiques recommandent aux « autres opérateurs de cet aéroport (en l'occurrence Biarritz) de déposer plainte pour distorsion de concurrence ». Enfin, la majorité ne voit pas matière à aller plus avant dans la procédure comme celle de l'Aude qui précise que les récriminations de la CRC sont « peu identifiables » alors que la chambre « s'interroge sur la valeur juridique des engagements de la CCI ». Face à un tel mutisme, nous avons interrogé le ministère de l'intérieur qui n'a pas souhaitez répondre à nos questions. Visiblement le dossier dérange.