Je vous écris depuis Beyrouth. J’ai été hier soir dans un restaurant restauré dans le style traditionnel après la guerre civile de 75-90. C’est une conclusion en guise d’introduction d’une ballade de quelques jours et de quelques milliers de kilomètres à travers 3 pays : la Turquie, la Syrie et le Liban.

Récits :

Après m’être levé à 5h30 pour prendre un taxi depuis Lataquié – Syrie – je n’étais pas très chaud pour partir en virée nocturne jeudi soir. J’étais assez fatigué de ma journée, et je garde encore le souvenir de mon passage mardi dans un tunnel creusé à la main à Antakia – Turquie : mes cuisses sont toujours tétanisées. Ah, et puis : j’ai toujours une espèce de tourista qui me retourne les intestins depuis mon arrivée à Izmir au début du mois….

Tout ça pour vous dire que j’étais plus près de l’état de loque humaine que du fêtard frais et dispo. Il y aurait (pour moi) un roman à écrire sur mon passage d’Izmir à Beyrouth.

Je suis venu ici sur un coup de tête, après que Purvi m’ai expliqué ces problèmes. Elle a repoussé d’au moins une semaine son arrivée à Istanbul le temps d’obtenir tous les papiers nécessaire à son visa, ainsi que les 1000 € supplémentaire que je lui ai envoyé pour gérer sa vie quotidienne à Bombay.

C’est vrai que je retrouve ici Dalia OBEID, pour faire un reportage sur l’ONG IndyAct, et que j’ai pu être hébergé chez Samir HADDAD, qui fait en quelques sortes partie de la famille, à Lattaquié. Mais ce qui compte surtout pour moi, c’est qu’en quelques jours, j’ai pu décider et rejoindre un autre point de la méditerranée. Partis lundi soir d’Izmir, j’arrive jeudi matin à Beyrouth. C’est cette route qui m’a le plus attiré.

2 jours et 3 nuits de voyage, 20 h de bus, des passages de frontières avec des taxis, un passage de quelques heures seulement dans la ville mythique d’Antioche, une attente de 4 h à la frontière syrienne avec la peur de ne pas obtenir le visa, la découverte des bâtiments bombardés au Liban, et enfin les monts Liban enneigé apparaissent en toile de fond.

Il faudrait aussi raconter le serveur dans le bus turque, qui vous offre café soluble et tranche de marbré industriel dans son emballage, une partie de carte dans un parc d’Antioche où les joueurs sont moins nombreux que les spectateurs, le boucher qui écorche les moutons au bord de la route, le parcours en taxi mercedes à 160 km/h sur l’autoroute syrienne, les portraits du président-dictateur syriens et de son père dans les rues, les chars au bord des routes libanaise…

J’ai écris en partant de France que je voulais aller voir ce qu’il y avait au-delà de l’horizon. J’ai d’abord passé les alpes et découvert la vallée de Susa juste de l’autre côté. J’ai vécu à côté des gitans à Rome. Je me suis baladé à Venise, une ville en équilibre entre l’eau et le ciel, et observé la lagune avec un pécheur. J’ai parcouru les balkans, avec cette mosaïque d’états si jeune. J’ai découvert la pauvreté de l’Albanie. J’ai traversé la mer Egée pour me retrouver dans une île, bloqué par le vent…

Arrivé en Turquie, avec un pied en dehors de l’Europe pour la première fois, je me suis dit que c’était la fin d’une première étape, que j’allais attendre Purvi jusqu’à la fin du mois puis que nous partirions tous les deux en direction du nord jusqu’en Pologne : ce n’est pas plus compliqué que ça, il faut prendre à droite après Istanbul et monter tout droit jusqu’à ce que vous trouviez une mer. Il y a bien quelques emmerdes à attendre aux frontières avec Purvi, puisqu’il parait que certaines montagnes et certaines rivières séparent des peuples si différents qu’ils ne doivent pas se rencontrer…

Mais bon, au bout de quelques jours à Izmir je suis tombé malade et j’avais la bougeotte. Je savais que je pouvais descendre plus au Sud, vers un petit pays presque similaire à ces voisins, et qui du coup à connus 25 ans de guerre civile. 15 ans après, des attentats tuent politiques et journalistes. Les proportions de la recette sont simple : une camionnette bourré d’explosif fait sauter toute la rue où ce trouve votre cible. Vous êtes sur que sur la dizaine de morts il y a bien votre bonhomme.

Tout ça pour vous dire que les semelles me démangeaient, et que je voulais continuer à découvrir cette ligne d’horizon. Je suis reparti sur la route, direction Beyrouth.

Vous trouvez à chaque fois sur la route une diversité qu’il est dur d’appréhender en dehors du terrain : il faut patienter aux frontières (rarement pour un européen), monter puis descendre des cols, rouler dans la poussière sur des chemins qui sont des routes nationales, passer de port en port, rencontrer des hôtes d’un soir ou d’une semaine, gouter à des centaines de plats différents, entendre des dizaines de langues et d’accents, jeter un œil aux journaux et se contenter des images, comme un enfant…

Je suis loin de tout comprendre. Je survole des cultures dont je n’ai pas les clés de lecture. Je rencontre des hommes et des femmes dont je ne connais pas les idées politiques, la religion, malheureusement très présente parfois. Je connais peu l’histoire des pays traversés, qui me semble tout de même plus que mouvementés ces dernières années, comparée à la France.

J’ai l’impression de mettre la tête dans un kaléidoscope. Je m’enivre de ces sensations qui sont autant physiques qu’intellectuels. A Beyrouth, je suis servi. Oh, ce n’est pas une ville inaccessible, c’est sans doute une des villes les plus occidentales des pays arabes. Mais les sensations sont bien là, avec le passage en taxi depuis la Syrie, un arrêt à Tripoli pour que le chauffeur récupère femme et bébé et règle ses affaires, et ce goût du café mélangé à je ne sais quelle graine…

Ensuite Dalia me prend en mains, m’emmenant à son bureau, me faisant découvrir la ville en reconstruction, me parlant de l’histoire de son pays et de son histoire à elle. Tout cela se passe avec une toile de fond démente : des immeubles flambant neuf abritent des parlementaires qui ont peur des attentats, d’autres immeubles de 40 étages sont criblés de trous d’obus, un autre est à moitié détruit par un attentat, des rues sont barrés par des barbelés, des militaires surveillent les carrefours, des portraits et statues des personnalités assassinés ponctuent l’espace de la ville. Il n’y a toujours pas de président élu pour diriger le pays.

Malgré tout cela, il règne une ambiance que je ressens comme calme et joyeuse. Quand le soir venue, Dalia et sa copine me proposent de les accompagner dans un restaurant écouter un joueur d’Oud, je refuse. Je me sens trop fatigué. Mais comment résister à cette envie de découverte, de pénétrer pour un temps dans l’ambiance libanaise, qui vie et fait la fête malgré tout ?

Voilà un texte bien long, que ce soit pour mon blog ou pour ma lettre de diffusion, qui me permettent de rester en contact avec vous. Je m’arrête là. Vous avez une idée de ma vie présente depuis plus de 2 mois, sans doute plus proche de la réalité que l’idée que vous avez pu avoir en lisant le journal ou mon blog.

Dans quelques minutes, je fermerai la porte de l’appartement de Dalia pour aller la retrouver, et je replongerai dans le ventre du monde, grouillant de vie, pour continuer à le découvrir et à me découvrir.

A la prochaine.

Depuis Beyrouth, le 11 avril 2008.
Benka.


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