Ici, le sol est aride, le soleil brûle, et l’air, chargé de poussières, est difficilement respirable. La région de Kutch, dans l’Etat du Gujarat, à l’ouest de l’Inde, s’enfonce dans la désertification. Au milieu de ce paysage désolé, l’école de Sayara ressemble à un petit paradis, hors du temps. De hauts arbustes et des haies de lauriers roses entourent les trois petits bâtiments qui accueillent chaque jour une centaine d’élèves. A midi, le dal, un plat traditionnel de lentilles, est préparé sur une cuisinière solaire. Et dans les carafes scintille de l’eau de rosée.

Des microbilles et du savon

Le secret de ce lieu se niche sur sa toiture. Là, des « condenseurs » permettent de récupérer la rosée du matin pour la boire. La technique a été mise au point par un physicien français, Daniel Beysens : les toits sont recouverts d’un isolant thermique qui contient des microbilles d’oxyde de titane et de sulfate de baryum. Ce revêtement émet un fort rayonnement d’infrarouges qui le refroidit. La surface du condenseur, plus froide de quelques degrés par rapport à l’atmosphère ambiante, atteint ainsi la « température de rosée » à laquelle l’humidité de l’air dépasse 100 et la vapeur se transforme en gouttes d’eau.

Ajoutez à cela un film plastique et une couche de savon alimentaire – insoluble et hydrophile – et le tour est joué : les gouttes de rosée glissent sans souci vers de petites gouttières. Le précieux liquide s’écoule ensuite vers un réservoir où il est filtré puis désinfecté afin d’être potable. On peut ainsi récupérer jusqu’à 0,4 litre par m2 et par nuit. Et ce, cent jours par an, entre octobre et mars.

« Il a crié au miracle »

« Ce n’est pas suffisant, admet Pratap Singh, le directeur de l’école, mais ce système permet d’éviter la fermeture de l’établissement pendant les sécheresses et allège la pression sur le puits du village. » Autre retombée bénéfique : les enfants, souvent astreints à des corvées d’eau, sont beaucoup moins absents. « Je ne suis plus obligée d’aller en chercher tous les jours, se réjouit Pooja, une jeune élève. Quand l’association a équipé notre maison, mon père n’était pas convaincu mais après avoir vu le réservoir plein, il a crié au miracle. »

Car au-delà de l’école, des habitations ont aussi été dotées du système grâce à l’Organisation pour l’utilisation de la rosée (Opur), créée en 1999 par Daniel Beysens. « La rosée constitue une formidable source d’eau potable gratuite et inépuisable, s’enthousiasme le physicien. L’eau récoltée peut se révéler cruciale dans une région qui reçoit moins de 300 millimètres de pluie par an, et où l’écrasante majorité de la population n’a pas accès à l’eau courante. »

Dans le Gujarat, le niveau de la nappe phréatique diminue constamment et l’eau salée pénètre dans chaque pore. De plus, des industries particulièrement polluantes – démantèlement des bateaux, teinturerie, produits chimiques – souillent le sous-sol. « Tous les ans, il fallait creuser un peu plus profond, se rappelle le chef du village de Panjandrum. Alors l’eau de la rosée est une bénédiction, et elle est pure. En quelques années seulement, le nombre de troubles digestifs et d’allergies cutanées a considérablement diminué. »

Ciel dégagé et peu de vent Si la première usine de rosée a vu le jour à Panjandrum, ce n’est pas un hasard. Au c ?ur du désert de Kutch, les conditions sont idéales pour la formation de rosée : la mer se situe à moins de 50 km, le ciel est très souvent dégagé et le vent souffle rarement. Aidée par les habitants du village, l’Opur a mis en place des condenseurs sur le site d’une ancienne mine à ciel ouvert. Les coûts réduits des matières premières et de la main-d’ ?uvre dans le pays permettent d’aménager 1 mètre carré pour seulement 40 roupies (0,62 euro). Ce faible investissement de départ est un atout considérable. C’est sûrement ce qui a motivé des pays comme la Croatie, le Maroc ou la Polynésie à développer des projets similaires.

Le géant Tata dit banco Un litre pour une roupie (1,5 centime d’euro), l’argument a séduit le groupe indien Tata qui va faire poser des condenseurs de rosée sur les toits de sa centrale électrique à Mundra (Gujarat). Pour répondre à cette commande, l’Opur va se transformer en entreprise. Les bénéfices serviront à équiper les maisons de la communauté de Jakhav, où les habitants vivent avec moins de 20 litres d’eau par jour et par personne, soit 8 fois moins que la consommation moyenne d’un Français.



Qui est Anne-Gaëlle Rico ?

Après avoir fait des études de journalisme à Montréal et débuté ma carrière à Paris, j’ai décidé de partir travailler en freelance pour la presse francophone en Inde. Je suis arrivée il y a un peu plus d’un an sans rien savoir de ce qui m’attendait... Après avoir voyagé pendant quelques mois, j’ai posé ma valise à Bombay à la recherche de quelque chose, à la poursuite d’un rêve, comme la moitié des habitants de cet enfer urbain.

L’Inde n’est pas un pays qui se donne facilement au premier inconnu. Comme une femme qui se fait désirer, elle se laisse observer, admirer, écouter mais sans jamais se dévoiler complètement. Entre attraction et répulsion, elle demeure mystérieuse, fascinante. En tant que journaliste, il est particulièrement intéressant d’y vivre en ce moment car la société se transforme rapidement : Urbanisation, développement, environnement c’est comme si tous les défis de la planète se jouaient ici.